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et des financiers, — répondaient que les plus-values du produit net auraient bien vite couvert, et au-delà, l’excédent que les clauses du cahier des charges réglant le prix du rachat obligeraient l’Etat à débourser, en sus du revenu déjà donné par le réseau.

C’est qu’en effet, à ce moment, les recettes des chemins de fer, comme d’ailleurs les impôts et revenus publics de toute nature, donnaient chaque années des plus-values magnifiques. Les recettes de l’ensemble du réseau d’intérêt général, qui de 1872 à 1879, avaient passé de 792 millions à 946, augmentant ainsi de 154 millions en sept années, montaient, en 1882, à 1128 millions, avec 182 millions d’augmentation en trois années. Non seulement la garantie cessait de jouer, mais on entrait largement dans la période des remboursemens. Quatre compagnies seulement, sur six, avaient fait appel à la garantie de l’État, en vertu des conventions de 1859. De 1872 à 1879, les avances demandées par elles annuellement avaient oscillé entre 30 et 50 millions ; en 1879, elles dépassaient encore 38 millions. Dès 1880, l’Orléans et le Midi commençaient à rembourser ; en 1881 et 1882, l’Est remboursait également. L’Ouest seul continuait à faire appel à la garantie, et dans l’ensemble, les comptes du Trésor avec les Compagnies se traduisaient par un encaissement annuel de plusieurs millions. L’extinction totale de la dette de garantie, l’ouverture de l’ère du partage des bénéfices, paraissaient l’affaire de quelques années seulement.

C’est à ce moment, qu’à une ère de prospérité sur laquelle s’étaient greffées de folles spéculations, succéda la crise financière qui est restée, dans l’histoire de la Bourse, le krach par excellence. La longue crise commerciale, industrielle et agricole dont le krach fut le prélude devait peser lourdement sur les chemins de fer ; mais l’arrêt de la production et des transports ne se manifeste jamais avec la même soudaineté qu’un effondrement du marché financier. C’est en janvier 1882 que la Bourse de Paris avait failli sombrer avec l’Union Générale. L’année 1882 est encore, pour les recettes des chemins de fer, une année de plus-values appréciables ; 1883 marque seulement un temps d’arrêt, et ce n’est qu’en 1884 que le recul commence. Ainsi, tandis que la situation du crédit paraissait rendre impossible l’émission des emprunts d’Etat nécessaires pour continuer les travaux du grand programme de 1879, et qu’à plus forte raison, elle rendait tout rachat utopique, la situation des compagnies ne paraissait nullement ébranlée. Pour fusionner, comme tout le monde en reconnaissait la nécessité, l’exploitation des lignes nouvelles avec celle des lignes anciennes, deux solutions avaient été possibles