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accumule les palais ; il borde de palais la Seine. « À côté du grandiose, le gracieux — écrit un lyrique député, zélateur de l’Exposition — avec les quais de la Seine bordés, pendant toute la traversée, par de légères constructions en audacieux encorbellemens sur le fleuve. Quoi de plus gai et de plus délicieux à imaginer que cette promenade du bord de l’eau, par les tièdes soirées d’été, avec l’animation de la foule cosmopolite et l’étincellement de millions de lumières se reflétant dans l’eau ? » Bref, partout il marque des embellissemens analogues à ceux où s’attendrit le poétique député que je me plais à citer. Et dans la bouche de certaines gens, nous n’ignorons pas ce que ce mot d’embellissemens signifie.

Car, n’en doutons point, 1900 sera un progrès sur 1889. Les cent millions que l’on demande, c’est-à-dire le double de ce qu’avait coûté la précédente exposition, nous en sont une éloquente affirmation. On empilera le gracieux sur le grandiose, l’encorbellement sur le lacustre, le formidable sur l’énorme ; on fera pivoter une Galerie des machines plus vaste, sur une tour Eiffel plus haute. Et Paris sera déshonoré un peu plus, sera dévoré un peu plus par cette architecture d’exposition, la seule qui caractérise ce siècle sans âme, sans pudeur et sans pitié, qui ne connaît plus le langage des belles lignes et des nobles formes, et qui reste sourd à l’immense poésie qui chante dans la pierre. Tous les dix ans, Paris voit son unité se désagréger davantage, et se rompre son harmonie. Cela qui ment à son génie, à son passé, à son histoire, lui donne, peu à peu, l’aspect d’une ville éphémère, d’une cité provisoire, bâtie pour des hordes qui passent et ne reviennent plus ; et le temps n’est pas éloigné, peut-être, où les prodigieux chefs-d’œuvre de son art qui attestèrent la puissance de la race et ses tiers élans vers un constant idéal de foi, de beauté et d’amour, Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, le Louvre, devront disparaître, sous la poussée toujours plus forte, toujours plus profonde, des barbares qui implanteront, un jour, sur notre sol définitivement asservi, le règne de la laideur universelle.

Est-ce donc cela, que nous voulons ? Est-ce donc pour cela que nous donnons, chaque jour, à des aventuriers qui les gaspillent, nos énergies, notre sang, notre or ?


II

Autrefois, les expositions universelles avaient presque une raison d’être ou, plutôt une sorte d’excuse, dans le choix des dates ou des motifs politiques qui déterminèrent leur organisation ;