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sur nos boulevards les camelots. En 1878, on les chercha vainement. Ils n’étaient plus là. Ils avaient passé la frontière de l’Est, eux aussi. Dans l’intervalle d’une exposition à une autre, l’Allemagne nous avait pris non seulement deux provinces, mais toute une industrie qui faisait vivre, jadis une foule de pauvres gens. Alors n’est-on pas en droit de se poser cette double question ? Si, d’une part, les expositions universelles ne profitent pas à notre industrie, ne sont-elles pas inutiles ? Si, d’autre part, elles profitent à l’industrie étrangère, ne sont-elles pas coupables ?

Au point de vue industriel, je conclus surtout dans le sens de leur complète inutilité. La grande industrie appelée à y concourir, non seulement à y concourir, mais à en être la base sérieuse, le gros morceau de résistance, si j’ose dire, ne vient là « que pour la respectabilité », suivant l’expression d’un ingénieur anglais, très compétent, sir Henry Trueman Wood, qui, bien que directeur de la section britannique, partout où l’Angleterre expose, ne semble pas avoir une très haute idée des expositions universelles, de leur utilité pratique, et de leur moralité. Si l’on construit eu l’honneur de l’industrie de gigantesques galeries et de ruineux palais, ce n’est au fond que pour essayer de couvrir, par le bruit de ses machines, le bruit de l’orgie qui hurle au dehors. En réalité, elle ne joue là que le rôle décent, mais inférieur, de paravent. L’amusement, sous ses multiples excitations, le spectacle, sous ses formes les plus osées, la mise en scène de l’anecdote bêtement sentimentale ou hardiment obscène, telle est la grande affaire, la seule qui attire et la seule qui rapporte. On ne prend pas le public avec des machines, ni avec les produits de ces machines. Il passe devant elles, indifférent, et ne s’y arrête pas. Même le spécialiste, l’homme de métier, le curieux intelligent, avide de savoir et de comprendre, pour qui une exposition industrielle devrait être un vaste champ d’études, a bien vite fait de s’en désintéresser. Et dans l’impossibilité où il est de se reconnaître, de prendre conscience de soi-même, au milieu de tous les mécanismes qui tournent à vide, tissent des fumées et laminent le néant, assourdi par le vacarme, découragé par les mille et mille objets en marche qui sollicitent, à la fois, son observation, il s’en va et se mêle à la fête, comme les autres, avec les autres. « On ne vient plus aux expositions pour se procurer des vivres, on y vient pour s’amuser, » écrit, le 17 juin 1895, M. Edouard Lockroy qui, mieux que personne, pour en avoir organisé une qui fut un bruyant succès, sait à quel piteux échec vont désormais les expositions qui se contenteraient d’être des expositions instructives et honnêtes, et non des rendez-vous de plaisirs, des vomitoires de débauche. Et il ajoutait en manière d’équivoque avertissement : « La foire s’est