changée en fêle. Si la fête n’est pas belle, tant pis pour les organisateurs ; ils perdent leur temps et nous font perdre notre argent. » Aveu qui emprunte une exceptionnelle gravité à l’importance officielle de celui qui le laissa échapper.
Je m’entretenais un jour de ces choses avec un des plus considérables métallurgistes de France, et voici ce qu’il me déclara :
— Chaque exposition me coûte en moyenne cinq cent mille francs, et non seulement je n’y fais pas une affaire nouvelle, mais encore, durant les deux années qui la précèdent et les six mois qui la suivent, je constate un ralentissement dans le mouvement des allaires courantes. Et c’est très simple, comme vous allez voir. Je suppose un client à moi, un industriel voulant agrandir son outillage qu’il juge insuffisant, ou le renouveler parce qu’il est démodé. Eh bien, voici ce qu’il se dit : « Nous allons avoir dans deux ans une exposition, je n’y ai pas confiance, mais enfin, sait-on ce qui peut arriver ? Il y aura peut-être dans les sections anglaise, italienne ou suisse des modèles merveilleux et que je me procurerai à bon compte. Je vais donc marcher jusque-là comme je pourrai. Et puis, je verrai, je comparerai, je me déciderai sur place. » Il voit, en effet, compare, s’embrouille et ne se décide pas. Et comment se décider à l’achat de pareilles machines, dans ce tohu-bohu où le professionnel le plus avisé perd la tête ? Mon client rentre chez lui, hésitant encore, furieux d’avoir perdu son temps, et ce n’est que six mois après qu’il se résout à traiter avec moi une affaire que, sans l’exposition, il eût traitée trois ans plus tôt. Donc perte pour lui, et perte pour moi. Telle est la vérité. Pensez en outre que je n’attends pas d’une exposition qu’elle ajoute quoi que ce soit au bon renom de ma maison, connue du monde entier, ni qu’elle m’honore par des récompenses dont je n’ai pas besoin, les ayant toutes depuis longtemps.
— Alors, pourquoi exposez-vous ? demandai-je.
— Mais je suis fournisseur de l’État… Et l’Etat m’y oblige, parce que je sers d’excuse à son exposition, que je lui suis un decorum, rien de plus ; bref, je joue le rôle ingrat des vieux colonels dans les maisons de jeux… Nous finissons pourtant par nous entendre. En reconnaissance des sacrifices que je me suis imposés, l’Etat m’assure une commande de choses d’ailleurs parfaitement inutiles, et qui vont dormir dans ses arsenaux, dans ses greniers, le diable sait où !… Tous les industriels n’ont pas cette ressource, mais ils en ont d’autres… Je connais une maison excellente, et que j’apprécie beaucoup, qui, forcée d’exposer pour prouver qu’elle existe à côté de nous, exhibe le même matériel depuis 1867 sans que personne s’en soit aperçu. Elle a dans ses