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Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/950

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Toutes ces plumes n’étaient d’ailleurs pas de la même valeur. Parmi les réformes que la Chambre a votées, figure celle de la loi successorale. Elle ne fait honneur à personne ; mais s’il fallait en attribuer le mérite ou le démérite à quelqu’un, ce ne serait pas au ministère Bourgeois, car il l’a trouvée toute faite dans l’héritage de son prédécesseur. A lui seul, il n’aurait probablement jamais pu la faire accepter par la Chambre ; mais il a invoqué l’autorité de M. Poincaré et de M. Ribot, l’auteur et le père adoptif de ce projet mal venu, et, devant un patronage aussi respectable, la Chambre s’est inclinée. Que fera maintenant le Sénat ? Il a nommé une commission de dix-huit membres qui est, à l’unanimité, hostile à l’introduction du principe de la progression dans nos lois fiscales. Tout fait donc croire que le projet viendra définitivement échouer sur les bancs de sable du Luxembourg. Au reste, on l’a prévu. Le produit éventuel de la réforme a été affecté à l’amortissement, de telle sorte qu’il peut disparaître sans porter gravement atteinte à l’équilibre du budget, et en disparaissant il n’emportera pas avec lui de bien vifs regrets.

Ce qui rend, en cette fin de session, si facile et si rapide la discussion du budget, c’est que le parti radical est devenu le parti ministériel. Si l’ancien ministère vivait encore, incontestablement le budget ne serait pas voté le 31 décembre. Les socialistes et les radicaux n’en laisseraient pas passer un seul article sans le surcharger et le cribler d’amendemens, qu’ils développeraient avec la plus verbeuse rhétorique. Ce budget leur aurait paru bourgeois, censitaire, capitaliste et réactionnaire au premier chef. Il aurait fallu écouter leurs critiques, puis y répondre, et tout cela aurait pris beaucoup de temps. Le centre aurait assisté impassible à cette lutte entre le gouvernement d’une part, les radicaux et les socialistes de l’autre, comme il assiste impassible à l’absence de lutte, car il ne sait pas plus faire de l’obstruction qu’il ne sait l’empêcher. La fougue des uns s’est subitement calmée, l’inertie des autres n’a eu qu’à se prolonger, et on a eu le spectacle dont nous jouissons depuis quelques semaines. Ne nous en plaignons pas. L’expérience a prouvé que les longues discussions du budget ne servent guère qu’à augmenter les dépenses. On peut poser en axiome qu’un budget est généralement meilleur en sortant des mains du gouvernement qu’en sortant de celles de la commission, et qu’il est toujours moins mauvais en sortant de la commission que de la Chambre elle-même. Plus il va vite, moins il se détériore en route.

Ce désarmement provisoire des partis qui avaient fait de l’obstruction et aussi de l’injure et de l’outrage une sorte de monopole vient d’avoir une autre conséquence, et des plus heureuses. Des attaques, parties on ne sait d’où, ont été dirigées pendant quelques jours contre M. le Président de la République. On attaquait en lui l’homme privé, en ajoutant que certaines circonstances de sa vie le rendaient impropre