Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et si celui-ci, après les avoir mis dans un mauvais cas, a la bonne fortune de les en tirer, ils oublieront le passé pour glorifier la victoire finale. Le gouvernement s’est réuni aussitôt pour délibérer sur les mesures à prendre : la Chambre accordera tout ce qu’on lui demandera. Le désastre d’Amba-Alaghi sera sans doute vengé. Il y a là, toutefois, un dur avertissement que les Italiens devraient comprendre. Les moyens qu’ils emploient, dans le Tigré et même ailleurs, sont disproportionnés avec le but qu’ils poursuivent et peut-être avec leurs ressources actuelles. Après la défaite de Cannes, le Sénat romain envoya à Varron ses remerciemens parce qu’il n’avait pas désespéré de la patrie. M. Crispi a envoyé au général Baratieri l’assurance de son inaltérable confiance et de celle du gouvernement. Cela est beau comme l’antique, mais insuffisant. On envoie aussi 4 600 hommes au général Baratieri. On l’invite à demander d’urgence tous les renforts dont il aura besoin. On a raison, et c’est bien là ce qu’il faut faire aujourd’hui ; mais n’aurait-il pas été plus sage de s’en tenir aux promesses que M. Crispi faisait l’année dernière au parlement de ne pas pousser plus loin les limites de la colonie d’Erythrée et seulement de les consolider ? On a commis une grande faute en autorisant le général Baratieri, avec le nombre d’hommes dont il disposait, à entreprendre la conquête du Tigré. M. di Uudini, dans son discours, condamnait justement cette politique, bien qu’il se trompât en affirmant que l’armée italienne ne pouvait pas éprouver d’échec. Quant à M. Sonnino, il doit reprendre et corriger le bel exposé financier par lequel il a ouvert la session. En admettant que le budget fût alors en équilibre, dès maintenant il ne l’est plus.


FRANCIS CHARMES.


La nouvelle de la mort presque subite de M. Emile Montégut nous a surpris au moment où nous mettions sous presse les dernières feuilles de cette livraison ; et aussi n’avons-nous pas l’intention, en ces quelques lignes hâtives, de rendre à la mémoire très chère de l’un de nos plus anciens, de nos plus fidèles et de nos plus brillans collaborateurs, l’hommage que lui doit la Revue des Deux Mondes. Nous essaierons plus tard, — et le plus tôt que nous le pourrons, — de donner une idée de son œuvre, à laquelle il n’a manqué, pour égaler l’œuvre même de Sainte-Beuve — nous disons bien : de Sainte-Beuve — qu’un peu plus d’esprit de suite, et je ne sais quelle précision ou quelle originalité de forme. Emile Montégut a aimé trop de choses, trop diverses, auxquelles tour à tour ou ensemble il s’est lui-même trop livré, qu’il a senties trop profondément pour réussir à les dominer ; et c’est ainsi que, dans l’infinie diversité de son œuvre, une esthétique pourtant très