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pauvres et maigres, n’ayant rien à ménager, non de ces gras personnages qui tremblent sans cesse pour leur bourse ou pour leur peau, « — de basse naissance et des faquins », dit du Vair. Plutôt intègres, mais ambitieux d’honneurs et de pouvoirs, sur la carte que le hasard avait mise entre leurs mains, ils jouaient leur va-tout.

Seul, peut-être, dans ce conseil, l’évêque de Luçon était tenu à quelque ménagement pour la classe à laquelle il appartenait par sa naissance et par son rang épiscopal ; les diplomates contemporains le distinguent finement en cela de ses collègues. Mais il n’était pas le chef du ministère. N’eût-il pas subordonné sa fortune à la faveur du maréchal, qu’il eût dû s’incliner devant la volonté de l’homme qui l’avait poussé aux affaires : c’était Barbin.

Tout le monde considérait celui-ci comme le premier ministre : « Le maréchal m’a parlé des trois ministres comme de ses créatures, écrit le nonce dès son arrivée à Paris ; il fait beaucoup de cas de Mangot et de Luçon. Mais il me dit que celui qu’il estime le plus, c’est Barbin, qui, par sa pratique des grandes affaires, peut vraiment passer pour le maître des deux autres. Ce Barbin est celui qui a, en ce moment, le plus d’autorité ; c’est lui qui a provoqué la chute du président du Vair. » Dans les audiences, c’est bien l’attitude que prenait Barbin : « Je l’ai trouvé homme résolu, parlant librement, et avec autorité. Nous avons parlé des choses du dedans, et des choses du dehors. Il me dit qu’il avait bon espoir de sortir d’affaires, au besoin par la force, si la douceur ne suffit pas ; en tout cas, il assure qu’il ne ménagera rien de ce qu’il faut pour réussir. »

Après l’avoir fréquenté plus longtemps, le même nonce, de sa plume élégante, fait de Barbin le portrait suivant : « C’est un homme de basse naissance, mais d’esprit vif et subtil. Il a une longue pratique des questions de finances ; en maintes circonstances, il a montré en ces sortes d’affaires un esprit inventif et ingénieux qui l’a introduit dans la faveur des Concini et qui lui a fait obtenir la charge de contrôleur général. Maintenant, tant par son titre que par leur faveur, il a le maniement de toutes les finances du royaume. C’est un homme d’aspect rigide, dur en affaires, haï autant à cause de sa puissance que parce qu’il la tient de ce qui est haï de tout le monde. Il passe pour homme de bien et bon catholique ; d’ailleurs, pour les choses ecclésiastiques, il s’en rapporte à l’évêque de Luçon. Il montre du jugement et de la résolution. Il parle avec fermeté et autorité et c’est lui qui a la plus grande part dans tout ce qui se fait actuellement. »