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la désignation italienne, dont la consonance exotique semble avoir surtout fait le succès, — est loin d’être parmi nous une nouvelle venue. s’il n’est pas établi qu’elle remonte à la nuit des temps, la date de sa première apparition certaine lui assigne, dans la succession des grandes épidémies européennes, un rang de fort respectable ancienneté. C’est en effet en 1580 que nous la voyons faire dans le monde l’entrée retentissante qu’elle a renouvelée depuis, à des époques très irrégulièrement espacées : 1729, 1732, 1742, 1762, 1765, 1830, 1847, 1889. Elle compte donc trois cents ans révolus d’activité pathogène. Ses récentes manifestations démontrent surabondamment qu’elle n’a rien perdu de sa puissance initiale et qu’elle n’est pas près d’atteindre cette période de déclin qui, dans leur évolution individuelle ou collective, annonce la disparition de chacune de nos maladies.

À la voir de nos jours si répandue, si absolue maîtresse de son vaste domaine, il nous semble a priori peu admissible que l’antiquité et le moyen âge aient échappé à sa malignité. Nous sommes naturellement si enclins à nous considérer comme héritiers, au grand complet, des biens et des maux de nos pères, que nous nous les représentons volontiers comme ayant, de tout temps et fatalement, subi les mêmes infirmités que nous. À ce compte. Adam eût passé sa vie à être malade. Mais la vérité est que, fonctions d’organismes vivans, et soumis, comme tous les corps animés, quelles que soient leurs dimensions, aux lois primordiales de la biologie, les maladies sont venues successivement, à leur heure, c’est-à-dire lorsque chacune d’elles a trouvé le terrain et les conditions favorables au développement de ses germes.

L’histoire médicale de notre planète est, dans son genre, aussi nettement affirmative que son histoire politique. Nous y relevons, comme dans cette dernière, des dates mémorables, souvent précises et toujours suffisamment approximatives, qui ne laissent aucun doute sur les diverses époques d’apparition de nos maladies épidémiques. Telles sont, pour nous limiter aux maladies non exotiques : la variole dont l’apparition remonte à 570 ; la peste à bubons, qui date de la fin du VIe siècle ; la suette, de 1485 ; la scarlatine, du déclin du XVIe siècle.

Il est donc acquis à l’histoire que la grippe fit en 1580 sa première explosion sur notre continent. Sa foudroyante invasion, l’invraisemblable vitesse de sa marche, le nombre prodigieux de ses atteintes, leur déroutante gravité, absorbèrent d’emblée l’attention des observateurs consciencieux dont les noms gardent encore, malgré la distance, un éclat incontesté. Surpris, au même moment, par les mystérieuses allures de la maladie