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purifiées ; la fiévreuse agitation de naguère s’est adoucie, décidément calmée ; on sent que le héros est devenu un dieu.

La lutte fut longue et rude, qui précéda cette apothéose. Et c’est encore un des mérites du livre nouveau de M. Chamberlain, que la plus grande partie des images qu’il nous offre éclairent pour nous le récit de cette lutte glorieuse. Depuis les portraits de la mère, de l’oncle, du frère et de la sœur, et de la première femme de Richard Wagner, jusqu’aux portraits des principaux patrons de l’entreprise de Bayreuth, c’est une abondante série de documens qui se déroule devant nous, expressément destinée à nous faire mieux connaître la vie et l’œuvre d’un des hommes, à coup sûr, les plus considérables du siècle. Elle nous présente, tour à tour, les amis que Wagner a rencontrés sur sa route, les lieux qu’il a habités, les décors où il a placé l’action de ses drames. Presque toutes ces images, d’ailleurs, sont publiées là pour la première fois, Mme Wagner ayant mis à la disposition de M. Chamberlain les précieuses collections de Wahnfried ; et plusieurs d’entre elles joignent à leur intérêt documentaire une réelle valeur artistique, ainsi l’admirable Liszt jeune dessiné par Ingres, et ces trois grands portraits de Beethoven, de Schiller, et de Schopenhauer, qui ornaient, à Bayreuth, le cabinet de travail de Wagner.

Des nombreux autographes du maître reproduits en fac-similé, je dirai seulement que M. Chamberlain s’est réservé de les choisir lui-même, et qu’il a mis à leur choix un soin tout particulier : de telle sorte qu’il n’y a pas un de ces autographes qui ne joue, lui aussi, un rôle défini dans l’ensemble du livre. Tantôt c’est un des passages les plus mémorables des Écrits théoriques qui nous est donné tel qu’il est directement sorti de la plume de Wagner ; tantôt c’est l’ébauche d’un développement musical, ou au contraire la dernière copie. Et M. Chamberlain a en outre exigé (il nous en prévient dans sa préface) que fussent éliminés de l’illustration de son livre les portraits d’acteurs, et les reproductions de caricatures. Il a pensé — avec combien de raison ! — que les documens de ce genre ne pouvaient servir qu’à distraire l’attention du lecteur, sans lui rien apprendre en échange qui méritât d’être su. Aussi bien, les caricatures dont Wagner fut l’objet ne sont-elles la plupart qu’un témoignage assez banal — et vraiment superflu — de la sottise humaine ; et pour ce qui est des acteurs chargés de créer les rôles wagnériens, ceux-là seuls y ont réussi qui ont docilement subi, jusque dans les moindres détails, les instructions du maître. Cet homme extraordinaire a été l’unique acteur de ses drames, de même qu’il en a été le musicien, le poète, et le peintre, et le metteur en scène.

Quel dommage seulement que M. Chamberlain n’ait pas étendu sa sévérité jusqu’à la partie décorative et, en quelque sorte, symbolique,