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de l’illustration de son livre ! Je ne crois pas avoir vu jamais des encadremens d’un goût aussi détestable que ceux dont M. Otto Eckmann a entouré, à tort et à travers, dans ce gros livre, titres, portraits, et reproductions de tableaux. Encore ses encadremens ne manquent-ils que de goût, tandis qu’il y a telles des compositions reproduites dans le livre — les scènes wagnériennes de M. Hendrich, par exemple — qui sont un défi à toutes les conventions admises jusqu’à présent parmi les hommes touchant le dessin et la perspective. Et cela quand on aurait pu choisir dans l’œuvre lithographique de M. Fantin-Latour tant de pièces d’un métier admirable, et si profondément wagnériennes par l’harmonieuse sensualité de lignes à la fois indécises et pures !

Mais on a vite fait d’oublier le fâcheux effet de ces quelques images, lorsque, après avoir feuilleté le livre, on commence à le lire, et qu’on voit surgir devant soi, évoquée avec une vérité et un art excellens, la vivante figure de Richard Wagner. Figure complexe et mobile, dont le véritable caractère avait échappé jusqu’ici aux critiques et aux biographes, aussi bien qu’aux peintres ! Seul M. Chamberlain est parvenu à s’en approcher : au prix de quels efforts et de quels sacrifices, c’est ce que j’ai eu déjà, ici même, l’occasion d’indiquer[1]. Aussi connaît-il mieux que personne aujourd’hui l’œuvre et la vie de Wagner ; et il n’y a personne non plus qui soit plus apte à nous les faire connaître. Car pour parler et écrire l’allemand avec une perfection absolue, il n’en a pas moins gardé de son origine anglaise une netteté de vues, un besoin constant de clarté et de précision, un sûr et solide bon sens qui le préservent des hypothèses fantaisistes, des complications inutiles, et le conduisent d’instinct vers la réalité. Sans compter que dès le premier jour il s’est proposé pour unique objet, dans ses études wagnériennes, non point la justification d’une thèse, ni le développement d’une idée préconçue, mais la recherche patiente et impartiale des faits, la reconstitution aussi fidèle et aussi complète que possible de la vie, de la pensée, et du caractère de Richard Wagner.


Le livre qu’il vient de publier ne nous offre malheureusement encore qu’une esquisse de ce grand travail. C’est avant tout, comme je l’ai dit, un livre d’étrennes, expressément dégagé de toute spécialité, destiné à pouvoir être lu et compris de chacun. L’auteur nous avertit, dans sa préface, que son intention n’a pas été de faire une biographie de Wagner, mais plutôt « quelque chose comme une image », un croquis sommaire, tel seulement qu’il permît au lecteur de se représenter, dans leurs traits essentiels, l’homme et son œuvre. Et de fait c’est bien

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1893.