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un premier croquis que nous avons sous les yeux, ou, si l’on veut, la maquette du monument que nous a promis M. Chamberlain. La vie, le caractère et la pensée de Wagner nous y apparaissent réduits à quelques grandes lignes : et tout le détail est à dessein omis, les menus événemens, les questions techniques, les déductions secondaires. Mais avec quelle netteté, en revanche, ces grandes lignes se montrent à nous, et dans quelle lumière imprévue ! Il n’y a pas un des chapitres du livre de M. Chamberlain qui ne projette un jour tout nouveau sur quelque partie d’un sujet qu’on pouvait croire, cependant, amplement connu. Connu, il l’était en effet : mais tous les auteurs qui s’en étaient occupés avaient, à leur insu, pris leur point de départ dans leurs impressions personnelles. Ils nous avaient présenté de Wagner l’image qu’ils s’en formaient à leur gré, une image où la fantaisie avait plus de part que l’étude impartiale des faits. Ici, au contraire, c’est Wagner qui, directement, se transmet à nous. Ou plutôt nous le voyons tel qu’il s’est vu lui-même, et il resterait à nous demander ensuite s’il s’est bien vu tel qu’il était. Mais du moins nous connaissons désormais exactement, suivant l’expression de M. Chamberlain, « son dedans », les véritables intentions qui ont dirigé sa vie. Et combien ces intentions véritables diffèrent de celles qu’on lui a d’ordinaire prêtées, c’est ce dont ont pu juger les lecteurs de la Revue, par le beau travail que M. Chamberlain a publié ici, il y a quelques mois, sur la Doctrine artistique de Richard Wagner. Tout y était rigoureusement appuyé sur des citations de Wagner ; et tout, cependant, y était [nouveau, depuis la théorie du rôle social de l’art jusqu’à cette affirmation capitale : que le drame, tel que l’a rêvé Wagner, était essentiellement un drame musical, que la musique ne s’y bornait pas à accompagner l’action, mais en constituait l’essence même, et qu’enfin ce n’est point Sophocle ni Gluck, mais Mozart et Beethoven qui sont les prédécesseurs immédiats de Wagner.

Cette affirmation est reprise, développée, et mise définitivement en lumière dans le nouvel ouvrage de M. Chamberlain : elle en constitue, à mon avis, le point le plus important, et ce serait assez d’elle seule pour donner à tout l’ouvrage infiniment de prix. Mais à côté d’elle il y en a cent autres qui vont, comme celle-là, à l’encontre des idées reçues, qui reposent, comme elle, sur l’autorité même de Wagner, et dont il sera dorénavant impossible de ne pas tenir compte.

Et puisque la place m’est trop mesurée pour que je puisse songera donner ici une juste idée du livre entier, et puisque aussi bien M. Chamberlain lui-même ne se tient pas quitte envers nous d’une étude plus vaste et plus détaillée, ce sont quelques-unes de ces nouveautés de son livre que je voudrais signaler, me réservant d’esquisser plus tard, à mon tour, une image d’ensemble de l’œuvre et de la personne de Richard Wagner.