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ce récit, par un entretien que j’eus avec le prince de Bismarck, peu de temps après mon arrivée à Berlin, qu’il partageait alors les mêmes idées et que j’eus à les combattre avec la plus grande énergie. C’est à ce jour que j’eus lieu de m’applaudir de ma venue à Versailles.

J’en partis le 2 juillet et j’arrivai à Berlin le 4. A partir de ce moment, je me considérai comme le gardien d’une consigne de paix dont, à aucun prix, je ne pouvais me dégager. A part les. sacrifices de dignité personnelle, devant lesquels s’arrêterait le devoir professionnel et que nul ne songea à m’imposer, je m’attachai à faire en sorte que pas une de mes paroles ne pût être interprétée autrement que dans le sens de l’exécution loyale et entière du traité de Francfort. A mes yeux, et je l’ai redit bien des fois depuis lors, les diplomates belliqueux, et il s’en rencontre malheureusement quelquefois, ne valent pas mieux que les soldats qui refusent de se battre. Les uns et les autres ne sont pas dans la vérité de leur situation. Ce n’est pas qu’il n’y ait des circonstances où le langage diplomatique ne puisse devenir comminatoire, mais il doit toujours être inspiré par des ordres précis du gouvernement que l’on représente et lui ménager au moins une retraite possible. Tant que la guerre durait, notre devoir avait été de lutter, militairement ou diplomatiquement, de tout notre pouvoir ; j’avais essayé de le faire à Saint-Pétersbourg dans toute la mesure de mes forces, mais, la paix une fois signée et ratifiée, nous étions obligés, par devoir et par intérêt, à ne pas laisser planer un doute sur nos intentions et à éviter, par conséquent, toute récrimination stérile. C’est le langage que je tins constamment au personnel diplomatique assez nombreux[1] qu’on avait bien voulu m’adjoindre et qui comprit parfaitement la nécessité de ce devoir.

Grâce à cette correction d’attitude, nous n’eûmes aucune difficulté à redouter. Nos journées étaient, du reste, consacrées tout entières au travail. En quelques mois, l’ambassade put remettre à Ilot tout un courant d’affaires ou d’informations qui manquaient au département et répondre aux innombrables demandes ou réclamations qui nous arrivaient de toutes parts.

En même temps, d’ailleurs, que le gouvernement rétablissait son ambassade à Berlin, il envoyait à Francfort, à la demande du gouvernement allemand, MM. de Goulard et de Clercq pour régler

  1. Je citerai notamment MM. Debains, le comte d’Aubigny et M. de Bacourt, tous deux aujourd’hui ministres plénipotentiaires et M. Bœufvé, chancelier, et son fils qui furent à Berlin mes auxiliaires dévoués pendant tout le cours de ma mission temporaire.