Grignan : l’homme public qui durant quarante-cinq ans gouverna avec talent et succès la Provence ; le particulier qui ne sut pas administrer son bien propre et aboutit à la ruine. Il est permis, je pense, sans se faire accuser d’esprit de dénigrement, de constater que le comte de Grignan n’a pas aujourd’hui beaucoup d’imitateurs : plusieurs de nos hommes politiques savent mieux soigner leurs intérêts privés que les intérêts de la nation. Pendant son gouvernement, M. de Grignan a dû vaincre de grandes difficultés : la révocation de l’édit de Nantes amena l’insurrection des Cévennes qui eut un funeste contre-coup dans tout le sud-est de la France. Les protestans des Cévennes voulurent défendre leur religion ; de cruelles sévérités qui les exaspérèrent donnèrent lieu à des représailles terribles ; ils avaient pour les exciter des femmes mystiques, exaltées, et pour les commander des hommes d’un courage indomptable, auxquels leurs adversaires eux-mêmes ont rendu hommage. Il a fallu à M. de Grignan une extrême habileté dans cette guerre religieuse si imprudemment allumée. Il chargea le chevalier de Saporta d’organiser les milices de la Provence. Bientôt après, le danger grandit, car le duc de Savoie envahit la Provence avec les alliés ; on fit le siège de Toulon. Les alliés commirent des horreurs : incendies, viols, massacres de gens sans armes. M. de Grignan remplit noblement son devoir, et, quand il mourut en 1714, âgé de quatre-vingt-cinq ans, on le regretta comme un homme d’intégrité et d’honneur dont la vie entière avait été dévouée à son pays.
Il faut cependant remarquer que, s’il s’est appauvri pendant ses quarante-cinq années de gouvernement, ce n’est pas seulement par suite de son honnêteté ; c’est aussi par suite du luxe extraordinaire de son train de maison. Il obtenait la faveur de toutes les classes par son affabilité, en même temps que par la splendeur dont il entourait ses réceptions. Mme de Grignan, enivrée de l’encens qu’on lui prodiguait dans les cérémonies officielles, emportée par sa vanité qui ne connaissait pas de résistance, n’était pas faite pour arrêter le gouverneur de la Provence dans une voie qui menait droit à la ruine. Lorsque Philippe v fut nommé roi d’Espagne, il y eut dans toute la France un court moment de joie indescriptible ; les frères du nouveau roi, après l’avoir conduit à la frontière de ses États, se rendirent en Provence. On leur donna des fêtes somptueuses qui furent en grande partie à la charge de M. de Grignan. Bientôt après, le roi d’Espagne passa à Marseille et M. de Grignan recommença des réceptions, pour le prix desquelles il reçut du roi son portrait enrichi de diamans. Mme de Grignan trouva l’indemnité un peu mince :