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« Le roi, écrit-elle à Mme de Coulanges, a permis que M. de Grignan eût l’honneur de le loger et de le défrayer dans son séjour à Marseille ; ce sont des honneurs singuliers. » On voit par là que, même sous Louis xiv, ce n’était pas tout plaisir d’être grand seigneur.

À la mort du comte de Grignan, son gendre, le marquis de Simiane, le remplaça comme lieutenant général de Provence ; mais, trois ans après, il mourut, laissant la petite-fille bien-aimée de Mme de Sévigné en proie à des difficultés sans fin pour payer les dettes de M. de Grignan et sauver les débris de sa fortune. Elle fut obligée en 1732 de vendre le château de Grignan où elle avait été témoin de tant de splendeurs, et elle acheta à Aix, non un hôtel, mais une maison qui est encore debout au coin de la rue Saint-Michel. On y voit intacts l’aménagement et la décoration des appartemens. Saporta a peint d’une manière très séduisante la figure de Mme de Simiane, figure discrète, à demi voilée, estompée par le malheur. Il parle de son charme pénétrant, de l’éclat de son esprit et de la fermeté de sa raison. Le plus grand éloge qu’on puisse en faire est de dire qu’elle ressemblait moins à sa mère qu’à sa grand’mère.

M. de Saporta a publié aussi un travail intitulé : l’Émigration d’après le Journal d’un émigré. Dans ce travail, comme dans son ouvrage sur la famille de Sévigné, il a trouvé occasion de faire connaître des détails historiques qui lui ont semblé nouveaux et authentiques, car l’émigré dont il parle n’est autre que le chevalier de Cadolle dont la petite-fille a épousé un de ses fils ; son travail est composé en partie avec des paperasses du chevalier restées inédites et en partie avec des lettres de la duchesse de Choiseul, femme de l’ancien ministre de Louis xv, adressées à Boyer de Fonscolombe, arrière-grand-oncle de Saporta, et à l’abbé Barthélemy, qui habitait la Provence. Il y est aussi question des Mirabeau, sur lesquels notre paléontologiste possédait des détails précis, car il habitait à peu de distance de leur château, et il avait pour ami intime le propriétaire, M. de Montigny, qui est leur descendant. Il m’a mené voir ce château juché dans un site sauvage qui domine la torrentueuse Durance ; le génie de Mirabeau a dû y prendre des inspirations ; on y conserve religieusement les souvenirs et les portraits authentiques du fougueux orateur.

Au moment où commence l’histoire du chevalier de Cadolle, il a seize ans et déjà il fait partie de l’armée. On brûle le château de Durfort qui appartient à sa famille. Son service l’appelle en Corse ; le futur général Bonaparte lui donne des conseils pour