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nécessairement au sang ou à l’imbécillité[1]. » — « On ne change pas la nature humaine par de vains décrets. Quand un pays a toujours vécu en monarchie, que la folie des factions l’a un instant arraché à son état naturel pour en faire une république éphémère, il suffit de quelques années pour inspirer l’horreur de l’anarchie et de moins d’années encore pour trouver le soldat capable d’y mettre un terme[2]. » Néanmoins, après Février, le premier étourdissement dissipé, il se convertit au système républicain. « Je ne suis point, écrit-il, un émigré rêvant un passé impossible : j’accepte la république et ne veux d’aucune des trois restaurations possibles. Le temps des rois est passé ![3]. » Toutefois à son adhésion il ajouta ce post-scriptum fort important que la République ne demeurerait pas aux mains des républicains, « gens vulgaires, ignares, inexpérimentés, violens. » « Nous sommes d’avis, dit-il à Panizzi, que la monarchie est impossible aujourd’hui, et nous croirons avoir beaucoup fait si nous pouvons donner au pays une république bien constituée[4]. » La république bien constituée était celle dont il deviendrait le président.

A cet effet l’appui des conservateurs lui était indispensable. Il s’appliqua à le gagner. De l’anticléricalisme, il passa à l’ultra-montanisme ; coryphée inattendu des jésuites, il trouva tout naturel que l’enseignement de la jeunesse fût confié à ceux dont il demandait récemment la proscription ; non content de combattre Proudhon et les socialistes avec lesquels il n’avait jamais pactisé, il abandonna les radicaux auxquels il promettait, en 1847, inébranlable fidélité ; il défendit contre les uns et contre les autres les principes de bon sens sur lesquels reposent les sociétés, dans de superbes discours à toujours relire.

Malgré ces amendes honorables édifiantes et ces services éminens, les conservateurs ne se décidaient pas à l’adopter. Ils le jugeaient trop peu sûr. S’il avait oublié ses impertinences envers les légitimistes, eux se les rappelaient[5]. D’ailleurs, de plus en plus, se prononçait visiblement chaque jour le courant de l’opinion populaire. Les conservateurs se gardaient d’imiter l’aveuglement

  1. Discours du 17 mars 1834.
  2. Consulat et Empire, liv. XIX.
  3. 22 mars 1848, lettre au procureur-général Borelli.
  4. A Panizzi, 20 mars 1848.
  5. Un exemple entre beaucoup d’autres. Séance de la Chambre des députés du 26 janvier 1841. « — Thiers. Vous figurez-vous Henri V dans Paris à la tête des armées étrangères ? — De Larcy avec vivacité. Il n’y sera jamais. (Rire général. ) — Thiers. L’honorable M. de Larcy me dit qu’il n’y sera jamais. Cette interruption est digne de ses généreux sentimens que je connais bien. Il ne me reste qu’à faire un vœu, c’est que Henri V soit de cet avis. — Le duc de Valmy. Il en est. — Thiers. J’ajoute que, en renonçant à cette chance, il est d’autant plus généreux qu’il renonce à la seule que je lui connaisse. (Hilarité bruyante et prolongée. ) »