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violente ou des soupçons ? La confiance embarrasse plus que la défiance. Il est imprudent de prêter à quelqu’un des arrière-pensées qu’il n’ose confesser ou qu’il désavoue. On ne les conjure pas ainsi, on les provoque, on les facilite et parfois on les impose.


IV

Voilà le prince Louis-Napoléon installé à l’Elysée dans sa Présidence. Comment y trouva-t-il la France et l’Europe ?

En France, l’inquiétude qui avait précipité l’esprit public dans la réaction après les journées de Juin s’était aggravée de la crainte toujours présente d’un retour aux calamités dont on était à peine délivré. Le parti vaincu derrière les féroces barricades, loin de se résigner à sa défaite, proclamait bruyamment son espérance d’une prochaine revanche. Ses fureurs s’étaient accrues en proportion inverse de ce que ses forces avaient perdu. « L’élection du prince, a dit Lamartine, fut une affirmation inconsciente de l’hérédité. » Peut-être ! Mais elle fut certainement le recours à une dictature vigoureuse et incontestée, protection contre les menaces futures. On était fatigué des libertés auxquelles on avait paru attacher tant d’importance autrefois ; les discours de tribune étaient devenus aussi odieux que les articles de journaux ; le plus grand nombre soupirait après le jour où la tribune serait muette et la presse muselée, et la seule liberté qui parût encore précieuse, était celle de se délivrer de la basse domination des comités radicaux et des politiciens démagogiques.

En Europe, la situation n’était pas moins critique. Ici il est indispensable d’insister, car, de même que de l’effervescence internationale était sortie l’étincelle qui avait allumé la révolution de Février, de la réaction européenne devait venir l’encouragement et peut-être la nécessité de la réaction en France. La commotion produite par la révolution de 1848 avait été bien plus générale que celle dont la révolution de 1830 avait été le signal. Par une coïncidence de justice, c’était à Vienne, le chef-lieu de la politique de la conquête, que le triomphe de la politique des nationalités avait opéré sa première explosion (13 mars). A l’approche du danger, l’empereur d’Autriche, conformément à la coutume royale, abandonnait son fidèle serviteur, de même que Louis-Philippe avait abandonné Guizot. Le chef du parti du repos ne tenta pas plus que ne l’avait fait Guizot de lutter contre cette défaillance irrémédiable. « J’ai combattu, dit-il, avec constance pendant un ministère de près de quarante ans. Mes efforts ont été vains, et, ne sachant ni nager entre deux eaux, ni dans une