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POUR LA PORTE DE LA MER


Moi, le Barreur de poupe et le Veilleur de proue,
Qui connus le soufflet des lames sur ma joue ;
Le vont s’échevelant au travers de l’écume ;
L’eau claire de l’amphore et la cendre de l’urne ;
Et, clarté silencieuse ou flamme vermeille,
La torche qui s’embrase et la lampe qui veille ;
Le degré du palais et le seuil du décombre ;
Et l’accueil aux yeux d’aube et l’exil aux yeux d’ombre ;
Et l’amour qui sourit et l’amour qui sanglote ;
Et le manteau sans trous que l’âpre vent fait loque ;
Et le fruit mûr saignant et la tête coupée
Au geste de la serpe ou au vol de l’épée ;
Et la course marine et le choc des galops ;
Et, vagabond des vents, des routes, et des flots,
Moi qui garde toujours le bruit et la rumeur,
De la corne du pâtre et du chant du rameur,
Me voici, revenu des grands pays lointains
De pierre et d’eau, et seul toujours dans mon destin ;
Et nu, debout encor à l’avant de la proue
Impétueuse qui dans l’écume s’ébroue ;
Et j’entrerai, brûlé de soleil et de joie,
Carène qui se cabre et vergue qui s’éploie,
Avec les grands oiseaux d’or pâle et d’argent clair
J’entrerai par la Porte ouverte sur la Mer !


HENRI DE REGNIER.