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vus naître dans leurs causes, rattachés à leurs mobiles. Or c’est de là que tout dépend. C’est la vie intérieure qui donne à l’autre sa saveur et sa signification. Cette vie intérieure, Dumas, comme aussi bien presque tous les écrivains de son temps, l’a ignorée. Là est la véritable lacune de son théâtre. Quand on reproche à Alexandre Dumas ces inventions extraordinaires et ce goût du romanesque qui, venant d’un observateur et d’un historien des mœurs, nous inquiètent et nous mettent en défiance, ou cet abus des jeux de la logique qui fait méconnaître à l’analyste la complexité du cœur et au peintre la souplesse de la vie, ou encore certaines étrangetés de style, un luxe de « mots » dont beaucoup ne sont que spirituels et la profusion des plaisanteries, on ne lui fait que des querelles de détail. Ce qui est grave, c’est que tout entier occupé par le décor, amusé par les apparences changeantes et brillantes, mal préparé d’ailleurs, faute d’une éducation première, à aborder certains problèmes, Dumas n’ait rien su nous dire de ce qui est le fond même de l’âme humaine.

Un théâtre d’observation, mais où l’observation, évitant de s’en tenir aux cas exceptionnels, nous rapporte une image fidèle de nos mœurs, un théâtre d’étude où nous voyions, non certes résoudre, mais poser les problèmes avec lesquels la société est aux prises, et agiter des questions qui sont pour nous vitales, un théâtre d’idées où l’auteur traduise par les moyens de la scène et dans la forme dramatique sa conception de la vie, un théâtre enfin où il y ait assez de pensée pour intéresser l’élite qui vit surtout par l’esprit, assez d’émotion pour attirer et retenir la foule elle-même, où la vérité soit assez générale, étant humaine, pour dépasser les limites d’un pays et d’un temps, — voilà le théâtre, qu’après celui de Dumas il reste à faire, que pour notre part depuis des années nous appelons de tous nos vœux et dont nous avons suivi avec curiosité les premiers tâtonnemens dans les meilleurs des essais du théâtre nouveau.

Est-ce d’ailleurs exactement celui que nous promettent les jeunes esthètes sous les noms de théâtre d’art et de théâtre de rêve ? J’en doute un peu ; mais surtout c’est un point sur lequel la consultation du Mercure ne nous apporte aucun renseignement. Jusqu’ici les écrivains nouveaux, en attendant que sonne l’heure tardive des œuvres, nous avaient donné surtout des théories. Au surplus nous ne nous en plaignions pas, estimant que ces discussions théoriques ne sont nullement, comme il semble à des esprits légers, de vaines logomachies, et qu’on y peut voir se dessiner peu à peu les linéamens d’un art futur. Cette fois, au lieu de théories ils ont préféré ne nous servir que des injures. Je sais bien qu’une injure est encore une opinion, et c’est, paraît-il, celle même qui convient le mieux à la jeunesse. Il est entendu que de tout temps le premier devoir des jeunes a été de