Aujourd’hui il est notre ennemi parce qu’il nous a fait trop de mal pour ne pas vouloir nous en faire davantage, Chi offende non perdona, celui qui vous offense ne vous pardonne pas, disait Machiavel. Il a voulu, sans doute, nous faire peur en me laissant entrevoir l’autre jour des éventualités de guerre ; mais, au fond, après la paix qu’il nous a imposée, il n’est que logique en en voulant la conclusion, c’est-ã-dire l’écrasement de la France pour la durée au moins d’une génération. Cette œuvre néfaste, dans sa pensée, qui n’est pas, j’aime à le reconnaître, celle de l’empereur ni de la plus grande partie de l’Allemagne, devrait être un jour complétée ou anéantie, et M. de Bismarck, qui a posé les prémisses de ce terrible dilemme, ne peut pas en rejeter la conclusion, sans une certaine inconséquence.
« J’ajouterai que l’homme d’État auquel nous avons affaire est, comme le sait Votre Excellence, peu scrupuleux sur les moyens de parvenir à son but. Il m’a paru, à la fois, très franc à certains momens, dissimulé à d’autres, facilement emporté, mais pouvant être très calme quand la nécessité l’exige ; paraissant ne se préoccuper que de l’ensemble, mais ne perdant de vue aucun détail ; enfin inaccessible aux considérations sentimentales ou philosophiques. Il ne faut et il ne fallait surtout l’avoir ni pour auxiliaire secret, comme en 1866, ni pour ennemi comme en 1870, car il brise ses ennemis, et il compromet ses auxiliaires. Nous portons aujourd’hui le lourd fardeau de cette double faute.
« Pour traiter avec un pareil homme, que les circonstances, autant que sa valeur intrinsèque, ont rendu aujourd’hui à peu près l’arbitre de l’Europe, j’estime qu’un langage honnête et droit et une fermeté courageuse sont les seules garanties qui puissent lui imposer des égards. On n’obtiendra peut-être rien de lui sur le moment, mais, la réflexion venue, il pourra se souvenir de la valeur des argumens qui lui auront été donnés. Telle est, du moins, ma première appréciation.
« Nous ne devons donc pas le perdre un moment de vue, éviter de le blesser, en traitant en dehors de lui, et en lui fournissant un prétexte de persuader à l’Allemagne que nous voulons recommencer la guerre, car il a de terribles moyens d’agir sur l’opinion. Il dispose, au fond, de presque tous les journaux, qui reçoivent son mot d’ordre par l’intermédiaire du presse-bureau de Berlin. Non seulement les principales feuilles de cette ville, mais un grand nombre de journaux de province, une partie de ceux de Vienne et de Munich, subissent son inspiration. Il s’ensuit qu’à un moment donné il peut, si je puis me servir de cette expression, mobiliser l’opinion par la presse, comme M. de Moltke peu