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née de Castellane, de donner une soirée tout intime à laquelle nous fûmes invités et où il se rendit ainsi que l’impératrice et le prince royal. C’est sur ce terrain demi-français, et choisi avec à-propos, que nous fûmes présentés à Leurs Majestés, dont l’accueil fut des plus prévenans.

Quelques jours après, nous reçûmes une invitation à la cour et une autre chez la princesse royale, où l’empereur et l’impératrice vinrent également. Je ne manquai pas de remercier, à cette occasion, l’impératrice des soins qu’elle avait eus pour nos blessés, dont elle et ses dames d’honneur avaient bien voulu s’occuper tout spécialement au milieu de cette guerre néfaste. Les liens de la charité étaient les seuls qui pussent subsister, après de pareilles luttes, entre deux nations chrétiennes. Ce devoir fut noblement rempli de part et d’autre.

Afin de compléter ces souvenirs personnels, je dois ajouter que le gouvernement allemand avait eu la pensée de me donner une décoration comme souvenir de ma mission à Berlin. Je ne crus pas pouvoir l’accepter, dans un moment où une partie de notre territoire était encore occupée par les troupes allemandes. M. de Thile fut un peu ému de ma réponse négative et ne la transmit qu’avec peine et hésitation au chancelier. Mais celui-ci la trouva très correcte et lui répondit qu’il aurait fait exactement la même chose à ma place. Je dis alors à M. de Thile que les témoignages honorifiques habituels me seraient moins précieux, dans les circonstances où nous nous trouvions, qu’une mesure de clémence accordée avec à-propos. L’amnistie que j’avais été chargé de solliciter en faveur de nos soldats encore détenus dans les forteresses allemandes, pour délits commis depuis leur captivité, était toujours ajournée. Je la demandai comme une faveur personnelle. J’ignore si cette considération pesa de quelque poids dans la décision du gouvernement allemand, mais peu de temps après, l’amnistie fut, en partie accordée.

A quelques jours de là, c’était un dimanche, une foule nombreuse se rendait au Thiergarten qui donne sur la Pariser Platz, où est située l’ambassade de France, lorsque vers deux heures de l’après-midi, par un beau soleil d’hiver, je vis arriver en voiture ouverte le prince de Bismarck. Il portait l’uniforme des cuirassiers blancs. C’était la première fois qu’il venait, en personne, à l’ambassade depuis la guerre, s’étant borné jusqu’alors à des échanges de cartes et à un dîner auquel il m’avait invité avec M. Pouyer-Quertier. Le chancelier me fit l’honneur de me dire qu’il avait tenu à me témoigner lui-même, à la veille de mon départ de Berlin, le bon souvenir qu’il conservait de nos relations personnelles et des efforts que j’avais faits pour rétablir, en ce qui