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il conviendra d’insister pour qu’ils se gouvernent eux-mêmes. Mon programme est donc d’assimiler le pays au sud du Zambèze, de façon qu’au moment voulu le régime de la charte se transforme sans difficulté en gouvernement du pays par ses propres habitans. » On voit combien ce langage diffère de celui du duc d’Abercorn, qui prévoyait l’annexion à l’Angleterre et non pas l’autonomie. Si M. Rhodes renonce à se tailler un domaine à sa mesure avec le concours de ses compatriotes européens, il pourrait bien brûler ses vaisseaux et vouloir être plus que jamais l’homme des Afrikanders. Ne trouve-t-il pas déjà que le gouvernement anglais poursuit bien durement les auteurs de la dernière flibusterie » ? Quelques-uns de ses amis assurent qu’il rêve une vaste fédération des États de l’Afrique du Sud ; plus heureux que Christophe Colomb, il voit de son vivant son nom donné à une partie du continent : la Rhodesia brille déjà sur plus d’une carte. Il n’est pas de ceux qu’une défaite abat. D’ailleurs se considère-t-il comme battu ? Il ne paraît, en tout cas, pas l’avouer. Son effacement étrange, au moment d’une aventure dont il passe à tort ou à raison pour avoir été l’instigateur, n’est pas une des moindres surprises du drame politique qui se joue dans l’hémisphère austral.

Attendons-nous à voir M. Cecil Rhodes rentrer en scène plus vite que personne ne le soupçonne ; n’est-ce pas lui qui dans le même discours de 1892, dont l’analyse permet de reconstituer tout son caractère, s’écriait : « Il est plus aisé de négocier que de combattre ? » Qui sait ? La fin du règne de la Chartered ne marque-t-elle pas l’avènement du sien ? Ce diable d’homme, dont la jeune vie semblerait déjà terriblement remplie à un Européen ordinaire, a peut-être dit vrai : il ne fait que commencer. Mais quelque destinée que l’avenir lui réserve, le Transvaal ne sera pas anglais. Nos compatriotes feront bien de se pénétrer de cette vérité et d’aller profiter à Johannesburg de la grande situation morale que notre sentiment du droit et notre amour de la justice nous auront valu une fois de plus dans le monde.


RAPHAEL-GEORGES LEVY.