tranquille et circonspecte. Économe de ses actions, elle laisse aux particuliers la gloire de prendre l’initiative ; elle ne commande point, elle permet, elle autorise ; elle n’entreprend pas, elle encourage à entreprendre ; elle ne fait rien ou presque rien, elle laisse tout faire. Elle est de connivence avec les aventuriers, les corsaires, les pirates, elle leur facilite leurs expéditions, elle n’en court point le risque. S’ils sont heureux, elle les loue, elle les récompense, tout en réclamant sa part dans leurs prises. L’exemple qu’elle avait donné parut bon à suivre, et ses successeurs s’y sont conformes. Les habitudes créées par elle ne se sont point perdues : élevé à cette école, l’Anglais est de tous les peuples celui qui se passe le mieux de tuteur, et à qui il en coûte le moins de se décider par lui-même, de régler lui-même ses affaires, d’être seul à répondre de ses actes.
Il y avait en ce temps des mégalomanes qui reprochaient à leur reine ses timidités fâcheuses, son excessive réserve, la mesquinerie de sa conduite, et qui la traitaient d’âme pusillanime. Ils auraient voulu qu’elle se mit à la tête de toutes les entreprises, qu’elle frappât elle-même les grands coups, qu’elle ne laissât pas à ses sujets la gloire des expéditions hasardeuses. Sous le règne de Jacques Ier, le fameux Walter Raleigh se plaindra d’Élisabeth, l’accusera d’avoir manqué les plus belles occasions, de s’être refusée à sa fortune. Il ne tenait qu’à elle de s’emparer des vastes possessions espagnoles : » Le lion, écrira-t-il, n’est pas aussi terrible qu’on le peint. Sauf dans les Pays-Bas, ses forces sont au-dessous de sa renommée, et si la feue reine avait voulu en croire ses hommes de guerre comme elle en croyait ses scribes, nous aurions de son temps dépecé ce grand empire et réduit ses souverains à la condition de rois pour rire. 4 000 hommes auraient suffi pour le déposséder de tous les ports de ses Indes par lesquels peut passer son trésor. Il est plus haï dans cette partie du monde par les descendans des indigènes qu’il a réduits sous son obéissance que ne le sont les Anglais par les Irlandais. Mais Sa Majesté ne faisait jamais les choses qu’à moitié. » Si Élisabeth en avait cru Raleigh, l’Angleterre eût acquis plus tôt le grand empire et l’immense commerce que les dieux lui avaient promis ; mais selon toute apparence, elle se serait transformée en État militaire, et elle eût manqué sa destinée, qui était de montrer tout ce que peut produire la politique du laisser faire, qu’aucune autre nation n’a su si bien pratiquer.
M. Seeley a raison d’affirmer qu’Élisabeth a servi également son pays, et par ce qu’elle a fait, et par ce qu’elle a refusé de faire. Elle pensait qu’à chaque jour suffit sa peine, que le temps arrange tout, que précipiter les affaires est une marque de faiblesse, que les lenteurs calculées sont souvent le secret du succès, « qu’il n’y a pas de chemin trop long à qui marche sans se presser, qu’il n’y a pas d’avantages