souveraine qui a fondé sa grandeur et qui, si passionnée qu’elle fût, n’a jamais rien fait d’inutile. La politique avait dit à la théologie : « Vivons ensemble le mieux que nous pourrons. » On a vécu ensemble et on a toujours fait bon ménage.
Le livre de M. Seeley est aussi persuasif qu’intéressant ; je regrette seulement qu’il n’y ait pas ajouté un chapitre ou, par forme de conclusion, l’habile et savant écrivain eût résumé les traits caractéristiques de cette politique insulaire qui fut léguée par Elisabeth à l’Angleterre moderne. Il déclare qu’elle a ses avantages et ses inconvéniens ; c’est un sujet sur lequel il aurait pu s’étendre ; il était mieux qualifié que personne pour le traiter à fond.
L’avantage le plus évident de la politique insulaire est qu’il y a des soucis et des embarras qu’elle ne connaît pas. Une île est un refuge, un abri, un lieu de sûreté ; l’océan fait la garde autour d’elle. Un peuple insulaire n’a pas de voisins, il se sent les coudées franches. L’Écosse fut jadis pour les Anglais une voisine d’autant plus dangereuse qu’elle entretint quelque temps des relations intimes avec la France. Par le marché qu’ils réussirent à lui faire agréer, ils la décidèrent à confondre ses destinées avec les leurs. La grande île ne formant plus qu’un seul royaume, l’Angleterre se sentit à couvert ; elle n’avait plus qu’à faire face au continent, et elle était en la protection et sauvegarde de sa marine. Elle considère avec un peu de pitié les puissances continentales obligées de se garder à carreau, d’avoir sans cesse l’œil sur leurs voisins et de s’imposer la lourde charge d’une armée toujours prête à marcher. Elle compare avec complaisance leur sort au sien. Il lui est facile d’avoir une marine supérieure à celle de tous les autres États ; elle n’a presque rien à dépenser pour la guerre de terre ; la guerre de mer est son seul souci.
Montesquieu a dit que la mer avait toujours donné à la nation qui en possède l’empire une fierté naturelle, parce que capable d’insulter partout, il lui semble que son pouvoir n’a pas plus de bornes que l’océan : — « Cette nation, a-t-il dit aussi, pourra avoir une grande influence dans les affaires du continent, car comme elle n’emploie pas sa puissance à conquérir, on recherchera plus son amitié et l’on craindra plus sa haine que l’inconstance de son gouvernement et son agitation intérieure ne sembleraient le permettre. » Cependant, la politique insulaire et commerciale est d’habitude, comme la reine Élisabeth, essentiellement pacifique ; elle sait que la paix, c’est la richesse. Elle répugne aux dépenses improductives, aux entreprises stériles et coûteuses. Elle ne méprise pas la gloire, mais elle met son honneur à ne rien faire que d’utile.
Elle laisse à d’autres les guerres de magnificence et de vanité ; elle n’apprécie que les exploits qui sont de bonnes affaires, les victoires