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grasses et les triomphes lucratifs. Toutefois elle se résigne dans l’occasion à faire des guerres de peu de rapport, quand elle les juge nécessaires à sa sûreté. On voit de temps à autre s’élever en Europe une puissance conquérante, qui abaisse et rançonne ses voisines, et qui aspire à l’hégémonie. Ses agrandissement, ses usurpations inquiètent tout le monde, même les insulaires, qui ne se sentent plus hors d’insulte. Aussi observent-ils avec une vigilante attention tout ce qui se passe sur le continent. Toujours éveillés, toujours soupçonneux, ils s’intéressent moins aux événemens qu’à leurs conséquences, qu’ils sont habiles à prévoir, et s’ils se font une loi de n’intervenir que dans les cas urgens, ils croiraient se manquer à eux-mêmes s’ils n’intervenaient jamais.

L’Angleterre eut toujours pour principe de s’opposer aux ambitieux intempérant et de prendre parti pour les modérés et les pacifiques. Elle se considérait comme la gardienne de ce qu’on appelait la balance de l’Europe, et quand l’Europe était en danger de subir la loi d’un maître, elle employait ses immenses ressources et ses prodigieuses richesses à rétablir l’équilibre menacé. C’était pour elle une question de vie et de mort. Qu’elle fut gouvernée par Guillaume III ou par Pitt et ses successeurs, elle a prouvé qu’en certains cas aucun sacrifice ne lui coûte, et que s’échauffant au jeu, elle poursuit ses procès avec cette obstination qui finit par entraîner la fortune : Louis XIV et Napoléon Ier en ont fait l’expérience.

Quoiqu’elle regarde ses interventions comme des actes de justice et d’arbitrage, elle n’a jamais l’impartialité d’un juge, la sérénité d’un arbitre ; rien n’est plus implacable qu’une haine insulaire. Mais la question vidée et la partie gagnée, elle reprend sa liberté, et ne se croit tenue ni de garder rancune au vaincu ni de demeurer fidèle à ses alliés d’un jour. Elle n’a pas d’inimitiés éternelles et ne conclut que des alliances temporaires. Comme la Reine-Vierge, elle ne se donne jamais, elle n’épouse personne. De tout temps on lui reprocha la versatilité de sa politique. Au XVIIe siècle, lorsqu’elle négociait une triple alliance pour venir en aide à la Hollande, de Witt déclara que les États hésitaient à accepter ses propositions, qu’ils balançaient à rompre avec un aussi vieux et constant ami que la France pour lier partie avec un ami aussi nouveau et aussi douteux que l’Angleterre. » Il dit une autre fois « que depuis le temps de la reine Elisabeth, il n’y avait eu qu’une fluctuation continuelle dans la conduite de l’Angleterre, avec laquelle on ne pouvait jamais concerter de mesures pour deux années consécutives. › Mme de Sévigné écrira le 23 février 1689 : « On parle étrangement des affaires d’Angleterre ; ils ont élu roi, après de grandes contestations, cet enragé de prince d’Orange et l’ont couronné ; on croyait le contraire il y a huit jours ; mais ce sont des Anglais. » On glosait beaucoup alors