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de la délégation de Tours, et le 24 novembre, M. de Chaudordy me rendit compte de deux conversations qu’il avait eues successivement avec M. Okouneff et à la suite desquelles le sauf-conduit fut demandé à la Prusse par l’intermédiaire de la Russie, et je crois aussi de l’Angleterre. Dans ces deux entretiens, M. Okouneff s’efforça de nous représenter les avantages que nous pourrions tirer de l’envoi d’un plénipotentiaire à la conférence. Je crois qu’il les exagérait un peu par suite des instructions pressantes de sa cour et du très vif désir que l’empereur Alexandre éprouvait de voir la conférence réunie au complet pour en finir avec l’article 14. Mais de même qu’au Congrès de Paris en 1856, le comte de Cavour, après qu’on eut parlé de la navigation du Danube, et de bien d’autres sujets qui importaient fort peu au Piémont, finit par poser nettement la question italienne, malgré l’opposition déclarée du comte Buol ; de même nous aurions pu, alors que Paris n’avait pas capitulé et que le siège pouvait traîner encore en longueur, plaider à Londres devant l’Europe assemblée la cause de la France, l’intéresser à nos malheurs et la faire rougir peut-être de notre abandon. Je crois que nous avions là une chance d’obtenir de meilleures conditions. En tout cas, nous aurions rompu ce redoutable tête-à-tête où nous nous trouvions engagés depuis la déclaration de guerre et, si nous devions succomber, au lieu de signer la paix dans une obscure maison de Versailles et à la veille de mourir de faim, nous aurions, en mettant bas les armes, obligé l’Europe à se reconnaître complice d’une grande iniquité internationale, et cherché par tous les moyens à nous obtenir de meilleures conditions de paix. C’était, à mon avis du moins, notre dernier espoir.

On connaît les circonstances qui empêchèrent la réalisation de ce plan, et l’on sait également comment le sauf-conduit, qui devait mener M. Jules Favre à la conférence de Londres, ne servit qu’à le conduire plus tard à Versailles pour demander la paix. La fatalité qui pesait sur nous depuis le commencement de la guerre devait nous poursuivre jusqu’à la fin. La circonstance qu’un parlementaire prussien fut maltraité à nos avant-postes, servit à M. de Bismarck de prétexte pour différer l’exécution de la promesse qu’il avait faite à la Russie d’envoyer un sauf-conduit à notre plénipotentiaire. Quand il fut enfin remis à M. Jules Favre, Paris n’avait plus de pain !


Gabriac.