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système plus efficace pour assurer l’équilibre des classes et garantir la paix sociale. Mais au IVe siècle on vit simultanément « une aristocratie puissante se constituer, les classes moyennes tomber dans la pauvreté, et l’autorité publique s’affaiblir. » Il subsista toujours des empereurs, mais ils cessèrent d’être obéis, et la prépondérance passa décidément aux grands propriétaires fonciers. Le malheur est que cette oligarchie, qui avait « la terre, la richesse, l’illustration, l’éducation, et ordinairement la moralité de l’existence », ne sut ni combattre ni commander ; elle n’avait ni l’esprit militaire ni le sens du gouvernement, si bien que, sans le vouloir, elle augmenta les causes d’anarchie et compromit la sécurité de l’Empire.

Or il se trouva qu’à ce moment la Gaule fut menacée plus que jamais par les barbares. Ce n’est pas que les Germains fussent à la longue devenus plus redoutables. Il est manifeste, au contraire, que les trois ou quatre derniers siècles avaient été pour eux une époque de trouble et de désordre qui avait énervé leur vigueur et ruiné leurs institutions. Ils n’avaient d’ailleurs aucune haine contre les Romains, et ne les regardaient pas comme un ennemi national ; ce qui le prouve, c’est leur empressement à accepter d’eux l’humble condition de colons ou de soldats mercenaires, et la constante fidélité qu’ils leur témoignèrent. Mais les révolutions intérieures, en détruisant le régime de l’ancien État germain, abolirent du même coup « tous les goûts et toutes les habitudes de la vie sédentaire », et y firent succéder le régime de la bande guerrière, « c’est-à-dire la vie instable, le dégoût pour la culture du sol des ancêtres, l’absence de mœurs et d’idées fixes. » C’est là ce qui précipita les Germains sur les frontières. L’Empire ne fut pas envahi par de grands peuples organisés, mais par une série de petits groupes, parfois coalisés, dont l’extrême mobilité et le caractère ondoyant déconcertaient la tactique romaine. Plusieurs d’entre eux se contentèrent de traverser la Gaule en la ravageant. Les seuls qui réussirent à s’y établir furent les Wisigoths, les Burgondes et les Francs ; mais il n’est pas vrai qu’ils aient conquis le pays. Si les premiers occupèrent les provinces du Sud-Ouest, les seconds le bassin du Rhône, et les autres le Nord, ce fut en vertu d’un accord conclu avec les Romains. Officiellement, ils furent des soldats de l’Empire, et non pas des envahisseurs. Ils eurent mission de défendre les habitans, non de les violenter, et, s’il leur arriva fréquemment d’enfreindre les clauses du traité, dans bien des cas ils les exécutèrent strictement. Les Gallo-Romains ne furent ni réduits en servitude, ni dépouillés de leurs propriétés, ni traités en inférieurs. Ils durent simplement recevoir au milieu d’eux et entretenir à leurs frais