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reproduisît une foule de passages tirés des documens, afin que l'on pût vérifier immédiatement et sur place s'il en avait bien saisi le sens. Il adopta enfin un nouveau mode d'exposition. Jusque-là il s'était contenté de décrire les institutions et de raconter les faits en rejetant au bas des pages tout l'appareil d'érudition. Cette fois, il conçut chacun de ses chapitres comme une dissertation « hérissée de textes et pleine de discussions », comme une sorte d'enquête où il s'agissait d'instruire un procès au grand jour, pièces en main. Peu lui importait que son allure en fût ralentie et sa besogne accrue ; l'essentiel pour lui était de trouver la vérité et de désarmer la critique. Ainsi cet homme qu'on prend volontiers pour un doctrinaire insensible aux objections et sûr de son infaillibilité, a offert ce rare exemple d'un historien que tourmentaient de perpétuels scrupules, qui avait toujours peur de tomber en péché d'erreur, qui ne cessait d'enrichir son arsenal de preuves, et qui n'hésitait pas à anéantir son œuvre pour la rebâtir tout entière sur des bases plus solides. Et maintenant, si l'on songe que les années les plus fécondes de sa vie ont coïncidé avec une terrible maladie qui minait son corps et épuisait ses forces ; que ses souffrances ne l'empêchaient pas de travailler huit heures par jour ; que, dans un intervalle assez court, il a publié ou rédigé six volumes et que la mort l'a terrassé presque la plume à la main, on ne pourra se défendre d'admirer tout ce qu'a d'héroïque un pareil dévouement à la science.

M. Fustel de Coulanges s'est arrêté dans son ouvrage à la fin de l'époque carolingienne ; encore faut-il noter que les derniers chapitres ne sont que l'esquisse d'un septième volume qu'il comptait écrire plus tard[1]. Malgré cette lacune, ses vues se dessinent avec une merveilleuse netteté, et il est facile d'en donner un résumé fidèle.

La Gaule succomba promptement sous les coups des Romains, parce qu'elle était en voie de dissolution et que les discordes civiles y paralysaient la défense. Au fond, ce fut là un bienfait pour elle ; car ses vainqueurs lui rendirent le double service de la protéger contre les peuplades germaniques et de l'initier à une civilisation supérieure. Aussi ne songea-t-elle jamais à se révolter contre eux. Le pouvoir impérial fut très fort, sans être oppressif, et ce fut encore un précieux avantage, car il n'y avait pas alors de

  1. M. Fustel a publié, dans la Revue des Deux Mondes (15 mars, 1er août, 1er octobre 1871), des études où il exprimait des vues fort intéressantes sur la féodalité et sur l'ancien régime. Mais je sais qu'il désavouait ces articles comme trop « superficiels ». Il ne faut donc pas y chercher le fond de sa pensée sur cette double période ; nous devons nous résigner à l'ignorer complètement.