Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

limites ; il portait souvent le même nom, et les hommes qui le cultivaient étaient encore ou des esclaves, ou des affranchis, ou des colons. » Mais l’époque mérovingienne a connu un second mode de possession du sol, qui est le bénéfice. Ce genre de tenure n’a pas été établi par la loi ; il doit sa naissance à des usages purement privés. En principe, le bénéfice, comme le précaire romain, était une concession d’usufruit accordée par un bienfaiteur à un obligé ; mais, dans la réalité, c’était une convention suggérée par l’intérêt, et non pas une faveur dictée par la bienveillance. Il pouvait porter indifféremment sur une terre, un cheval, une somme d’argent. Il était tantôt gratuit, tantôt accompagné du paiement d’une redevance annuelle ou de l’exécution de certaines corvées. Enfin on présume qu’il était généralement consenti à titre viager. À mesure qu’il entra dans les mœurs, le bénéfice contribua à l’extension de la grande propriété ; car il était fréquemment précédé d’un acte par lequel un pauvre cédait à un riche dont il voulait s’assurer l’appui, la terre même qui allait lui être rendue sous cette forme. Il habitua en outre les esprits à séparer de plus en plus la propriété et la jouissance du sol, de telle sorte que désormais, sur une masse toujours croissante d’immeubles, on vit à la fois un propriétaire, un bénéficier et souvent un colon. Il eut surtout pour conséquence de modifier sensiblement la structure de la société en mettant un lien de dépendance entre deux hommes libres, dont l’un, « par cela seul qu’il tenait d’un autre un bienfait, se trouvait attaché à lui par tous les sentimens et par tous les intérêts. » — Les effets du bénéfice furent encore aggravés par le patronat. Cette pratique, déjà usitée chez les Gaulois, les Romains et les Germains, se développa beaucoup sous la domination franque. Elle avait pour objet de placer un individu faible ou ambitieux sous la protection d’un personnage influent, qui s’engageait, en échange de quelques services mal définis, à lui procurer soit des moyens de subsistance, soit un emploi. En vertu de ce contrat, un individu aliénait, pour sa vie entière, une partie notable de sa liberté, et se faisait volontaire-mont le subordonné, le fidèle, ou, comme on disait, le vassal d’autrui,

Ainsi se formait, en dehors des lois et par une série d’actes isolés, tout un ordre d’institutions singulièrement propres à affaiblir le régime monarchique et à consolider l’aristocratie. La féodalité était déjà là en puissance. Pour la combattre, il eût fallu, au centre de l’État, une autorité énergique, sage et équitable. Or les rois mérovingiens montrèrent une rare incapacité. En multipliant les immunités, ils renoncèrent à juger une foule de leurs sujets, à les administrer, à leur faire acquitter l’impôt. Quant