Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VIII. — CARACTÈRE POLITIQUE ET MORAL DU TRAITÉ DE CESSION DE NICE ET DE LA SAVOIE A LA FRANCE

De l’exposé qui précède résulte, croyons-nous, cette indiscutable vérité : à savoir que la cession de la Savoie et de Nice à la France a été un contrat d’intérêt italien, autant pour Je moins que d’intérêt français. Mais les contrats, pour n’être pas en contradiction avec l’éternel esprit de justice, doivent être inspirés par d’autres mobiles que ceux de l’intérêt ; ils sont viciés dans leur principe, s’ils n’ont à leur base la moralité. Il nous reste donc à examiner comment, après avoir renoncé à cette cession, le gouvernement français l’a de nouveau réclamée et dans quelles circonstances il a été, pour ainsi dire, amené à l’exiger.

Au moment où, après la paix de Villafranca, Napoléon III disait à Victor-Emmanuel : « On ne parlera plus de Nice et de la Savoie[1], » le royaume de Sardaigne, accru de 3 millions de Lombards, ne formait encore qu’un État d’environ 8 millions d’âmes[2]. Cette parole du souverain français, écho de son regret de n’avoir pu atteindre la réalisation complète de son programme, d’avoir dû arrêter l’œuvre de l’affranchissement italique au Mincio, au lieu de la pousser jusqu’à l’Adriatique, était une généreuse parole d’équité. Elle était l’expression d’un sentiment noble et non tout à fait impolitique. Le royaume subalpin, à cette phase de son développement, devenait un État assez important pour pouvoir être, dans l’avenir, un allié efficace de la France ; pas assez pour oser jamais se transformer en un allié infidèle. Le proverbial « artichaut » italien était à peine entamé alors ; la maison de Savoie en avait à ce moment. « mangé une feuille » seulement ; son ambition d’absorber successivement les feuilles restantes ne pouvait se fonder que sur la continuation d’une aide étrangère. Or, d’où une telle aide aurait-elle pu lui venir, sinon de la France ? Serait-ce de la Prusse, dont les armées s’étaient levées menaçantes pour changer en défaites les victoires franco-piémontaises ? Serait-ce de l’Angleterre, qui avait armé ses flottes et mis passionnément sa diplomatie en mouvement pour intimider la France et contribuer ainsi à mettre fin avant terme aux succès militaires des champions de l’indépendance italienne ? Quant à la

  1. Voir plus haut p. 156.
  2. Anciens États sardes. 5 194 807 habitans.
    Lombardie. 3 009 505 —
    Total. 8 204 312 —