Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’immensité des âges passés. Pourtant ni les plantes, ni les animaux n’ont dû présenter des formes et des couleurs comparables à celles qu’elles ont aujourd’hui. Il n’y avait pas de fleurs. Les arbres houillers, qui atteignaient des dimensions élevées et composaient des forêts majestueuses, n’avaient pas les variétés de formes et de couleurs que nous admirons dans la nature actuelle. C’est seulement au milieu de l’ère secondaire qu’ont apparu les phanérogames chez lesquels les fleurs et les fruits ont des teintes magnifiques.

Les animaux, aussi bien que les plantes, se sont ornés de plus en plus pendant la succession dosages géologiques. Les créatures qui semblent avoir le privilège d’être le mieux peintes sont les insectes et les oiseaux. M. Charles Brongniart a constaté que plusieurs insectes houillers ont eu des colorations ; mais sans doute les coléoptères, les papillons, les hémiptères vivant sur les fleurs, ont des teintes plus éclatantes ; ils n’ont dû avoir leur complet développement qu’à l’époque tertiaire. C’est aussi à cette époque que le règne des oiseaux a commencé.

Comme tout est harmonie dans la nature, nous pensons que le sens de la vue a augmenté à mesure que les formes et les couleurs ont été mieux accusées. En effet, il est vraisemblable que les polypes et les échinodermes ont eu, ainsi que de nos jours, peu ou point de vision. Les brachiopodes actuels à l’état embryonnaire ont quelquefois des yeux, mais ils les perdent à l’état adulte ; je suppose qu’il en était de même dans les temps géologiques, car les yeux ne servaient à rien chez des êtres complètement enfermés dans leur coquille.

A en juger par les genres actuels, la plupart des mollusques anciens ont dû avoir une vision d’une faible portée.

M. Künckel d’Herculais, rappelant des expériences qui ont été faites sur de petits crustacés phyllopodes, les Daphnées, écrit : Il y a toute probabilité, pour ne pas dire certitude, que les crustacés voient les objets colorés comme nous les voyons, et, s’ils les voient avec leurs couleurs propres, il n’y a aucune raison pour qu’ils ne les voient pas avec leurs formes ; ils n’ont certes pas, étant donné les milieux, une vue à longue portée ; mais, à petite distance, ils doivent avoir une netteté absolue. D’après cela, nous pouvons croire que les crustacés inférieurs, dont le règne a eu lieu durant l’ère primaire, ont joui de la vision. M. Barrois, dans une récente communication à la Société géologique du Nord, où l’on étudie si bien tout ce qui se rapporte aux temps anciens, raconte que M. Matthew vient de signaler un fait curieux au sujet de la vision des premiers trilobites. Il a remarqué que dans le Cambrien le