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ou même égal à celui-là. Le nouvel impôt serait en réalité payé par les demi-riches : la bourgeoisie en supporterait presque toute la charge. Les petits revenus, c’est-à-dire les plus nombreux, échapperaient à l’impôt : n’est-il pas juste, dit-on, que les riches paient pour les pauvres ? Après avoir montré que les exemptés n’étaient pas seulement les pauvres, nous ajouterons que les contribuables effectifs ne seraient pas seulement les vrais riches. La grande fortune est beaucoup trop rare en France pour qu’on puisse établir sur elle un impôt rémunérateur. Ce n’est pas elle qu’on vise, ce n’est pas elle qu’on atteint, mais bien la fortune moyenne, la richesse en voie de formation, celle qui est le fruit du labeur quotidien. On frappe, dans leur aisance à peine établie et toujours menacée, les classes de la société qui ont le plus fait pour l’établissement de la République. On s’expose à produire chez elles un mécontentement profond. Mais qu’importe aux radicaux, aux socialistes et au gouvernement qui les représente ? Ils cherchent avant tout à se créer une clientèle pour les élections futures. Si la réforme de l’impôt n’est pas faite à ce moment, ils veulent pouvoir dire aux électeurs ruraux : — Nous avons voulu vous dégrever de tout impôt sur le revenu ; les modérés s’y sont opposés. Choisissez entre eux et nous. Si vous nommez en quantité suffisante des radicaux et des socialistes, vous n’aurez plus rien à payer. N’êtes-vous pas le nombre, c’est-à-dire la force et le droit ? — Tel est le langage qu’on se propose de tenir et par lequel on essayera d’introduire dans nos campagnes, jusqu’ici réfractaires, le germe de ce socialisme agraire destiné peut-être à faire un jour tant de mal. C’est moins une œuvre fiscale qu’une œuvre politique que le gouvernement a voulu faire. Il savait bien d’avance que son projet ne serait pas voté par le parlement, et que, s’il l’était par hasard au Palais-Bourbon, il ne le serait pas au Luxembourg ; mais il y voyait, pour lui et pour ses amis, une excellente plate-forme électorale. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est dans quelle proportion le principe même de son budget serait écrasé par les votes des bureaux.

La condamnation a été formelle, absolue, irrémissible. Dès aujourd’hui le projet d’impôt progressif sur le revenu est mort. Alors, on se demande pourquoi le gouvernement vit encore. Qu’espère-t-il désormais ? Que veut-il ? Qu’attend-il ? L’élection de la Commission a mis le sceau à son impuissance. Ce n’est plus seulement le Sénat qui est contre lui, c’est la Chambre. L’impôt sur le revenu était la pierre de touche de sa politique : il n’en reste plus rien. La politique radicale et socialiste a fini par un effondrement complet. Dans leur désarroi, ses partisans parlent de proroger la Chambre pendant un mois, pendant deux mois, de manière à atteindre les élections municipales et à y présider. Ces procédés, imités de M. Crispi, auraient chez nous un air de violence qui en rend l’emploi peu vraisemblable.