Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1o Je ne crois que sous bénéfice d’inventaire à tout ce que j’ai lu de Tamerlan et des Phéniciens. Je suis a priori persuadé qu’on a débité bien des contes à leur sujet, mais il est probable qu’une partie de leur histoire est vraie, et il y a moyen de le démontrer. Par exemple on me dit que les Phéniciens ont occupé la Sardaigne. Le fait n’a rien d’impossible ; de plus, je trouve en Sardaigne de vilains petits monstres en bronze tenant un gril et une épée et au bas une inscription dont les caractères sont ceux des médailles de Tyr et de Sidon. J’applique aux Écritures un procédé semblable. Je suis très loin de croire que tout est faux. Il me semble seulement que la certitude historique y manque sur un très grand nombre de points. 2o Admettant comme vrai tout ce qui est dans les Évangiles, je n’en suis pas plus catholique, peut-être même pas plus chrétien pour cela, car la religion qui en est sortie ne me paraît pas ressembler beaucoup à celle de Jésus-Christ. 3o Les interprètes des Évangiles sont continuellement obligés d’expliquer les passages qui leur semblent obscurs, et qui le sont en effet, puisque les luthériens en entendent quelques-uns d’une façon et les catholiques d’une autre. N’est-ce pas le cas encore d’employer la critique pour découvrir de quel côté est la vérité ?

Mais voyez d’un autre côté où l’on va avec la foi seule. Personne n’en a eu une plus fervente que Philippe II. Veuillez lire dans Prescott l’histoire de Montigny, qu’il fit étrangler en publiant qu’il était mort de maladie, et pour que ce crime ne fût pas perdu pour la postérité, il eut soin de faire mettre à Simancas toutes les preuves du fait, jusqu’à la lettre de sa main qui donnait cet ordre. Je suis parfaitement convaincu qu’il a toujours cru bien faire. S’il y a un dernier jugement, il ne peut être condamné. Son confesseur peut-être, ce qui n’empêche pas que, si j’avais été Flamand ou Anglais, je ne me fusse cru très permis de lui casser la tête et je m’en serais estimé davantage. J’en aurais long à dire sur ce sujet des peines finales, mais le papier finit et ma lampe aussi. Je n’ai jamais pu lire le nom du livre que vous voudriez lire. Si je l’ai, il est à votre service, et si vous me dites comment il faut vous renvoyer.

Adieu, madame, je suis horriblement honteux d’avoir perdu cette lettre et je n’y comprends rien. Veuillez me pardonner cela ainsi que le reste, et agréer tous mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMEE.

J’ai fait ce matin un nouveau triage et n’ai rien découvert.

Je vous plains bien d’avoir un malade qui vous est cher, attaqué de cette horrible maladie. J’ai vu mon pauvre ami, le neveu de M. Royer-Collard, une des belles intelligences de ce