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essentielle unité[1]. Or, il semble que le monadisme, avec sa multiplicité non résolue, ne puisse fonder à lui seul, ni une doctrine de la connaissance, ni une doctrine de l’existence. Si la diversité des êtres était vraiment foncière, il y aurait entre eux une séparation qui rendrait impossible toute vraie connaissance de l’un par l’autre ; impossible également serait l’action mutuelle. Il est donc vrai de dire que le monisme, étant la condition de toute certitude, doit avoir par cela même la suprême certitude. Le point de vue de la multiplicité est toujours provisoire : l’esprit ne se repose que dans l’unité, mais dans une unité capable d’envelopper la variété infinie. C’est donc une conciliation du monisme avec le pluralisme qui s’impose à la philosophie de l’avenir.

Selon nous, aucune conscience n’étant isolée, sinon par abstraction, et le moi enveloppant autrui, c’est dans l’unité fondamentale des consciences qu’on devra chercher le lien universel. On aboutira à concevoir tout le matériel du monde sous la forme biologique, comme vivant, tout le mental sous la forme psycho-sociologique, comme sentant, désirant et tendant à l’union avec autrui, Enfin, le mental étant désormais accepté comme le vrai contenu de la réalité dont le matériel n’est qu’une forme, la philosophie, parvenue à son dernier stade, considérera la société universelle des consciences comme le fond de ce qu’on appelait autrefois la Nature.

C’est donc, croyons-nous, la plus récente et la plus jeune des sciences, la sociologie, qui fournira ainsi le meilleur type de « synthèse universelle ». Nous pouvons redire aujourd’hui ce que nous avons déjà dit ici même il y a vingt ans, quand nous recherchions les fondemens et les conclusions de la science sociale : « L’identité des lois biologiques et des lois sociologiques permettra de passer au point de vue cosmologique et nous fera concevoir le monde entier, non seulement comme un vaste organisme où tout conspire et sympathise, σύμπνοια πάντα, mais encore comme un organisme social ou tendant à devenir social. » Tout récemment M. Tarde, lui aussi, représentait la sociologie comme capable de nous fournir les plus véridiques notions sur l’univers. A ses yeux les deux phénomènes sociaux par excellence, « invention » et « imitation », répondent aux deux grands aspects du monde : production du nouveau et reproduction de l’ancien. Mais M. Tarde semble s’en tenir à un « monadisme » où la pensée, croyons-nous, ne saurait trouver son repos. Ajoutons que l’année dernière, dans une thèse aux formes imaginatives, la

  1. C’est ce qu’a bien vu M. E. Boirac dans sa thèse récente de l’Idée de phénomène (Paris, Alcan, 1895).