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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/307

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éternelles » ; nous dirions plus volontiers des relations universelles, qui d’ailleurs, à ce titre, peuvent envelopper quelque éternité. En un mot, le mouvement de la philosophie présente fait descendre dans la conscience même cette transcendance à laquelle la morale aspire ; la « sphère naturelle de l’âme » n’est pas pour nous, comme pour Scherer, « le surnaturel », mais elle est la nature universelle, par conséquent la société universelle, dont le nom encore humain de Dieu exprime le fond et le ressort. — « Aventure ! » — Quand ce serait, Platon l’a dit : « Noble aventure, καλός κίνδυνος. » L’incertain, ici, vaut mieux moralement que le certain et fonde cette abnégation sans laquelle il n’y a point de vraie vertu. Mais l’incertitude n’est point aussi complète que le soutiennent les sceptiques. Si le monde était uniquement composé de la matière brute imaginée par les matérialistes, c’est alors que la moralité serait un contresens humain au sein de l’aveugle nature. Mais, nous l’avons vu, l’œuvre de l’idéalisme a été précisément de montrer partout le psychique et, avec le psychique, le germe même du social et du moral. La moralité n’est donc pas en contradiction, elle est en harmonie avec le vrai fond des choses ; loin d’être une simple « aventure », elle est une vision de ce que le monde doit être, de ce qu’il peut être en vertu de ses élémens constitutifs. Les autres hommes sont nos associés par la nature même de notre constitution intellectuelle ; déjà membres d’une société de fait, ils deviennent ainsi membres d’une société idéale. La notion complète de la conscience et de sa portée universelle n’a donc qu’à se traduire d’une façon adéquate dans tous nos actes pour constituer un règne de liberté et d’égalité, c’est-à-dire de justice.

On le voit, il est difficile de nier que la philosophie idéaliste,. jointe à la science sociale, puisse être le principe d’une morale fondée à la fois sur les faits les plus certains et sur les idées les plus hautes.


V

C’est, en résumé, d’après le développement de ses sciences et de sa philosophie qu’on peut juger une époque et un pays, non d’après les agitations de surface. Si, à l’indifférence en matière de religion, état ordinaire en France, nous joignions l’indifférence en matière de philosophie, c’est alors que nous serions vraiment en dégénérescence : ce ne sont ni les sciences pures ni la pure littérature qui nous sauveraient, car elles ne porteraient