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III. — LES PROCÉDÉS DE GOUVERNEMENT :
2° LE RESPECT DE LA CONSTITUTION, DE LA LIBERTÉ, DE LA JUSTICE

Dans une proclamation de Brumaire an IV au Peuple Français, le Directoire avait promis, — risum teneatis ! — « que l’inflexible justice et l’observation la plus stricte des lois seraient sa règle. » Il s’engageait « à éteindre tout esprit de parti…. à régénérer les mœurs,… à étouffer l’agiotage[1]… » Protestations de respect pour la légalité, belles phrases émues sur l’inviolabilité de la représentation nationale, se retrouvent dans un Message aux Cinq-Cents du 21 Prairial an IV[2]. Jamais gouvernement n’a violé avec plus d’impudeur les promesses de ses débuts.

Son respect de la légalité, c’est par des attentats contre les élus de la nation qu’il le manifeste. Coup d’Etat contre les royalistes au 18 Fructidor an V (4 septembre 1797) : opération superbe et fructueuse, cent quatre-vingt-dix-sept députés expulsés des Conseils par voie de proscription ou d’invalidation ! Coup d’Etat, quelques mois après, le 22 Floréal an VI (11 mai 1798) contre les « anarchistes » : soixante députés républicains, légalement élus, sont cette fois privés du droit d’exercer leur mandat, et la politique de bascule compte un nouveau triomphe, non moins triste que l’autre, puisqu’il est, comme le premier, remporté sur la Loi. Et voici que l’émulation gagne les Conseils. Coup d’État du 30 Prairial an VII (18 juin 1799) : le pouvoir législatif, deux fois décimé, prend sa revanche sur l’exécutif et oblige deux Directeurs à se démettre, avec la complicité d’un troisième[3]. En moins de deux années, de septembre 1797 à juin 1799, trois secousses violentes qui ébranlent la Constitution jusque dans ses fondemens.

Quand il ne viole pas par d’audacieux attentats la représentation nationale, le Directoire cherche à se rendre maître des élections en les sophistiquant. Candidature officielle[4] et corruption

  1. Mémoires de Barras, t. II, p. 5.
  2. Voir t. II, p. 144.
  3. Voir Mémoires de Barras, t. III, p. 358 à 365, d’intéressans détails sur le 30 Prairial. Le Directoire avait songé d’abord à résister en prenant « un homme de tête et de cœur pour commander la 17e division » (Paris), c’est-à-dire à recommencer un 18 Fructidor contre les Conseils. Mais Barras, voyant les choses prendre mauvaise tournure, s’empressa de faire cause commune avec les « patriotes », et arracha à Merlin et à La Revellière la démission que les Conseils exigeaient.
  4. Mémoires de Barras, t. III, p. 157. Voir aussi Histoire de la République française sous le Directoire, par M. Ernest Hamel, p. 106 : « Dans plusieurs localités, le Directoire désigna lui-même les candidats dont la nomination lui serait agréable, et ses commissaires ne manquèrent pas de peser de tout leur pouvoir sur les assemblées électorales. »