électorale sont ses moyens : 185 000 francs sont affectés, de l’aveu de Barras, à « manœuvrer » les élections de l’an VI. Le président du Directoire reçoit 36 000 francs pour sa part. « Revellière, Rewbell lui-même trouvent ce genre de mesure fort immoral en soi, surtout dans une république, dont le principe est la vertu… Mais le Directoire, tout en rougissant, croit devoir arrêter une distribution d’argent qui sera faite aux préparateurs et machinateurs des élections[1]… » Tartufe eût-il mieux dit ?
Et c’est en rougissant aussi, je pense, que ce gouvernement pudique, ami de l’humanité comme de la vertu, condamne à la déportation sans jugement, après le 18 Fructidor, non seulement 53 députés, 2 Directeurs, 1 ex-ministre, 3 généraux, etc., mais en outre les imprimeurs, rédacteurs et propriétaires de 42 journaux[2] hostiles à sa politique ; qu’il décide de porter sur la liste des émigrés les déportés évadés de la Guyane[3] ; qu’il repousse la requête de Siméon[4], en dépit de la lumineuse dissertation juridique qui l’accompagne ; qu’il refuse, enfin, aux 100 prêtres détenus à Rochefort dans d’infects cachots les juges que ces malheureux demandent[5], de façon si digne et si touchante, avant d’être expédiés à Cayenne.
Liberté de la presse, justice, tolérance, humanité, respect de la loi et des institutions : de tout cela, le Directoire fait litière, avec un mélange de cynisme[6] et d’hypocrisie[7] dont aucune autre période de notre histoire ne fournirait sans doute un aussi parfait exemplaire.
- ↑ Mémoires de Barras, t. III, p. 194 et suiv.
- ↑ Voir Ernest Hamel, Histoire de la République sous le Directoire et le Consulat, p. 162.
- ↑ Mémoires de Barras, t. III, p. 450.
- ↑ Mémoires de Barras, t. III, p. 448 à 455. Siméon demandait à être déporté ailleurs qu’à la Guyane : « On sait, citoyen Directeur, que la Guyane et la mort sont à peu près la même chose. »
- ↑ Mémoires de Barras, t. III, p. 458 à 463. Ce mémoire des prêtres détenus à Rochefort est, avec la requête de Siméon dont il vient d’être parlé, au nombre des plus intéressans documens contenus dans le troisième volume. A noter que la supplique de Siméon et des prêtres de Rochefort est de deux ans postérieure au 18 Fructidor (prairial an VII). Rien ne montre mieux la dureté de ce gouvernement que la barbare ténacité de ses rancunes contre ses adversaires politiques.
- ↑ « Les déportés sont déportés et doivent l’être ; qu’ils nous laissent tranquilles. » Mot de Sieyès sur la requête de Siméon, cité par Barras, t. III, p. 456. Cette requête fut repoussée « à l’unanimité ».
- ↑ Loi du 19 brumaire an VII, complémentaire de la terrible loi du 19 fructidor an V sur la déportation : « Ce sont, ose dire le rapporteur, des précautions qu’on a prises contre eux (les condamnés à la déportation) ; ce ne sont pas des peines qu’on leur a infligées. » (Mémoires de Barras, t. III, p. 451. ) La Guyane, une précaution ! Sur 329 déportés du 18 Fructidor, 11 étaient morts de privations et de mauvais traitemens pendant la traversée, 167 autres avaient succombé en deux ans. J’emprunte ces chiffres à un article de M. Paul Mimande, publié dans la Revue Bleue du 17 février 1894.