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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/353

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trompe, un simple fait[1] qui éclaire d’une lumière assez vive les procédés, l’esprit, la moralité de ce gouvernement.

Sur toutes les avenues du pouvoir rôdent des hommes de proie en quête d’une fourniture, d’un marché : tel ce H… dont Barras nous dessine le profil de forban[2]. Ils assiègent les ministères, circonviennent. députés, ministres, Directeurs, achètent le droit de gruger impunément l’Etat. Les « pots-de-vin » coulent à flots. « Merlin est furieux contre Schérer. On en donne pour raison que le ministre de la Guerre n’aurait pas donné à Mme Villars, maîtresse de Merlin, des pots-de-vin qu’elle avait sollicités… Il paraît que Talleyrand n’aurait pas laissé aux choses attendues par Mme Villars le temps d’arriver à leur adresse[3]. »

Une doctrine infâme se répand : c’est que toute fonction publique doit non seulement nourrir son homme, le rémunérer de son labeur, mais l’enrichir. Comment ? Par de louches trafics, par l’exploitation de la parcelle de pouvoir, d’influence, dont tout fonctionnaire se trouve détenteur. « La place de Bourguignon (ministre de la police) a été l’objet de beaucoup de convoitises parce que de gros bénéfices sont censés attachés à ce ministère, notamment la ferme des jeux et tant d’autres revenans bons[4]… » Et, à tous les degrés de l’administration, on prévarique, on vole, chacun selon ses appétits ou selon les moyens qu’il a de les satisfaire. Énormes concussions des gros employés de l’Etat, rapines moindres des petits : un vent de malhonnêteté souffle — d’en haut — sur le pays. « Pillerie est leur devise », comme dirait Rabelais.


V. — IMMORALITÉ FONCIÈRE DU RÉGIME :
2° EXACTIONS AU DEHORS PAR LES AGENS ET LES ARMÉES DU DIRECTOIRE

Et ce n’est pas tout. La puissance corruptrice du régime est telle, qu’elle franchit les frontières, empoisonne les agens diplomatiques, les commissaires civils attachés aux armées, les administrateurs des pays conquis. « L’Italie est dans une déplorable situation ; de cruelles exactions ont soulevé les peuples[5]… Les agens civils ont fui et sont rentrés en France avec leurs rapines… » Jourdan écrit : « La mauvaise administration des agens du Directoire dans les pays étrangers a mis partout en horreur le nom

  1. Voir Mémoires de Barras, t. III, p. 258 à 267, l’intéressant récit consacré à cette affaire.
  2. Voir t. III, p. 75 à 79.
  3. Voir t. III, p. 315.
  4. Voir t. III, p. 413.
  5. Voir t. III, p. 329 et 337.