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français[1]. » Si impudentes ont été les exactions commises en Italie par divers agens, notamment par Trouvé, créature de La Revellière, que le Directoire, dans un bel élan de vertu, se décide à surveiller et à châtier les concussionnaires. Barras propose Fouché. Fouché, l’ami, l’associé du bandit H…, Fouché, l’entrepreneur de fournitures à l’armée d’Angleterre[2], Fouché gardien et vengeur de la morale ! Un énorme éclat de rire aurait dû, ce semble, répondre à cette proposition. Non pas ! Fouché est nommé, lâché sur la Cisalpine. Et les malheureuses populations italiennes ont à subir de la part du citoyen « agent en chef » de la République française une nouvelle razzia[3].

Toutefois la gloire de Fouché pâlit auprès de celle d’un autre Verrès, Rapinat. Épurer le Directoire helvétique à la façon française[4], c’est-à-dire en expulsant de sa propre autorité d’ « estimables citoyens » qui font partie de ce corps ; les remplacer « par des gens tout à fait indignes d’estime » ; de pareils exploits semblent trop minces à cet agent. Accompagné de deux secrétaires, Forfait et Grugeon, dont les noms symboliques encadrent assez heureusement celui de leur chef, Rapinat met en coupe réglée les finances helvétiques. Le scandale est tel qu’une plainte est adressée à Paris. Le Directoire délibère. Les faits sont patens : Rapinat « n’est pas seulement un exacteur impudent, c’est un faiseur de coups d’Etat audacieux. » Seulement, le drôle est beau-frère de Rewbell, qui lui a donné cet os, la Suisse, à ronger. Il serait regrettable de contrister l’âme de Rewbell… Rapinat est donc maintenu à ce poste, où il déshonore la République. Et la morale n’est vengée que par une épigramme :


La pauvre Suisse qu’on ruine
Voudrait bien que l’on décidât
Si Rapinat vient de rapine
Ou rapine de Rapinat[5].
  1. Mémoires de Barras, t. III, p. 348 à 352, Lettre de Jourdan à Barras, du 13 prairial an VII.
  2. Voir t. III, p. 73 à 79.
  3. Voir t. III, p. 288.
  4. Sur les procédés jacobins fréquemment employés par les agens du Directoire à l’étranger, voir le rapport du ministre de Prusse, Sandoz-Rollin, à son gouvernement (juin 1798). Treilhard a dit à ses collègues : « C’est à l’impéritie de vos agens qu’il faut attribuer l’alarme qui est répandue en Europe… Ne voit-on pas Garat donner au roi des Deux-Siciles le conseil de se faire jacobin ? Ne voit-on pas Gênguené organiser une guerre contre le roi de Sardaigne et Gènes ?… » (Cité par M. Pallain, Ministère de Talleyrand, p. XXXVI. )
  5. Mémoires de Barras, t. III, p. 236, 237. On remarquera qu’un passage du récit consacré à Rapinat semble indiquer que M. Rousselin de Saint-Albin aurait été l’auteur de ce quatrain.