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se fût bien gardée d’attaquer, au risque de les réunir contre elle dans une action commune, les derviches et les Abyssins.

Il semble bien que telle ait été tout d’abord l’intention du gouvernement italien, et maintes fois, au lendemain de l’occupation d’Asmara, fut faite à Monte-Citorio la déclaration que l’on ne dépasserait pas le triangle Massaouah, Asmara et Kéren. Mais les événemens furent-ils plus forts que la volonté des gouvernans ? ou plutôt ces derniers, séduits et entraînés par l’exemple de la France et de l’Angleterre, ont-ils voulu « faire grand » en matière d’expansion coloniale et ne se sont-ils pas laissé arrêter par la perspective des sacrifices d’hommes et d’argent que coûte une pareille politique ? Toujours est-il que la ligne de conduite avisée qu’avait préconisée le gouvernement italien ne tarda pas à être abandonnée et à la période d’action diplomatique ne tarda pas à succéder 1ère de conquête et d’occupation effective.

Le premier résultat de cette politique active fut l’entrée des troupes italiennes à Kassala, située à 180 kilomètres à l’ouest de Kéren. Tombée aux mains des mahdistes au mois de juillet 1885, cette place était devenue depuis leur centre d’opération contre Souakini et Kéren. Là ils concentraient en secret leurs troupes, amassaient les munitions et les approvisionnemens, puis envahissaient brusquement la partie nord du plateau abyssin, pillant et brûlant les villages, massacrant les habitans ou les réduisant en esclavage. Voulant se débarrasser de ces voisins incommodes, les Italiens réunirent à Kéren toutes leurs forces disponibles, puis construisirent le fort d’Agordal, à 120 kilomètres de Kassala, et celui de Mahallo. Cette invasion progressive du pays mahdiste n’eut pas lieu sans combats. En 1892, le lieutenant du mahdi, Osman-Digma, livra aux troupes italiennes une sérieuse bataille, que d’ailleurs il perdit. En décembre 1893, le fort d’Agordat faillit être surpris par les derviches. La lutte fut meurtrière de part et d’autre ; toutefois l’armée d’occupation réussit à mettre encore une fois en déroute les mahdistes. C’est à la suite d’une incursion de ce genre que Kassala fut enfin repris aux Soudanais. Une troupe considérable de derviches avait fait, au commencement de juillet 1894, une razzia aux environs d’Agordat. Aussitôt prévenu, le général Baratieri, qui se trouvait à Kéren, accourut à Agordat avec toutes les forces dont il pouvait disposer. Se lançant à la poursuite des derviches, il arrivait inopinément le 17 juillet devant Kassala. Surprise, la garnison n’en fit pas moins une vigoureuse résistance, surtout dans l’intérieur de la ville. Mais après une charge de cavalerie et une ferme attaque des