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avait présenté celle de la région kabyle, mais la comparaison ne nous paraît guère juste. La Kabylie n’offre point d’obstacles considérables ; on peut atteindre à cheval les sommets des hauteurs ; d’assez bons chemins sillonnent le pays. De plus, il existe en Kabylie des centres construits ; la population y est sédentaire ; elle cultive la terre et se livre à l’industrie. Tout autre est l’Ethiopie, vraie citadelle de montagnes, aux escarpemens abrupts, aux vallées profondes, aux dangereux défilés, où les plateaux s’échelonnent et se superposent en lignes de défenses successives et se couronnent de sommets inaccessibles à une armée. Les villes y sont rares, la capitale se déplace et se trouve là où, temporairement, sont plantées les tentes du négus et de ses feudataires. La demeure ordinaire de l’indigène est la paillotte. La population y est rude, pourvoit volontiers à sa subsistance par la rapine et est toujours prête à suivre ses chefs à la guerre. Ajoutez que les Français ont pu investir de tous côtés la Kabylie, tandis que les Italiens ne peuvent attaquer l’Ethiopie que par le littoral.

Mais, en admettant même que la fortune favorise enfin les armes italiennes, l’ère des difficultés sera bien loin d’être close. Ce serait s’abuser étrangement que de croire qu’un traité avec Ménélik assurant le protectorat de l’Italie mettra cette dernière en possession effective de l’Abyssinie, du Harrar, de l’Ogadine et de tous les pays gallas qui s’étendent entre le haut Nil, le fleuve Juba, et le littoral de la Mer-Rouge. Et puis, la conquête politique terminée, ne faudra-t-il pas tenter la conquête morale de ce peuple de sept à huit millions d’âmes, ne possédant que quelques primitifs rudimens de civilisation, chrétiens d’un culte spécial qui n’est pas celui de l’Italie et fort attachés à ce culte, réfractaires jusqu’ici à notre civilisation. En même temps s’imposera le problème de la colonisation et de la mise en valeur du plateau éthiopien et de la ceinture de terres adjacentes. Il faudra étudier les conditions dans lesquelles pourront être détournés dans l’Afrique orientale, dans une terre à elle et sous son drapeau, les centaines de milliers d’émigrans qui vont sous d’autres cieux se perdre chaque année sans profit pour la mère-patrie. Sans doute il est bon que l’Italie ait des colonies et spécialement des colonies de peuplement : le pays est pauvre et peu susceptible, pour une partie du moins, d’amélioration notable ; la population y est dense, s’accroît dans de fortes proportions et envoie à l’étranger de deux à trois cent mille émigrans par an. Sans doute encore, l’Abyssinie, avec son climat tempéré et salubre, avec sa population clairsemée, réunit des conditions très favorables à l’expansion de