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la nationalité italienne. Mais le moment a-t-il été bien choisi pour courir une si grosse aventure ? Les ressources présentes de l’Italie sont-elles à la hauteur du but poursuivi par elle ? Et le pays à conquérir sera-t-il jamais assez riche pour la dédommager des immenses sacrifices d’hommes et d’argent qui lui sont imposés ? Nous aimons à être persuadé que le gouvernement italien voudra procéder avec la plus grande prudence dans l’occupation progressive et la colonisation de l’Erythrée ; sera-t-il servi par les événemens ? Nul n’est maître de sa destinée, a dit le poète, et sa parole est surtout vraie, appliquée aux peuples qui veulent avoir une politique coloniale active. On devait se borner au début à n’occuper que l’îlot de Massaouah, et on s’est étendu sur plus de 3 000 kilomètres le long du littoral de la Mer-Rouge et de l’Océan-Indien. On ne devait pas franchir le fameux triangle stratégique Massaouah, Asmara et Kéren, et on est allé à Kassala, à Makallé et à Amba-Alaghi. Demain il faudra dominer au cœur de l’Ethiopie et plus loin, vers le Nil et le Juba. Ce qui est certain, c’est que, quel que soit le sort que l’avenir réserve à la colonisation de l’Erythrée, ce pays absorbera une partie non négligeable des ressources nationales, et dès aujourd’hui il est à prévoir que le peuple italien, si désireux qu’il soit de faire grand, trouvera dans l’immense région que baignent la Mer-Rouge et l’Océan-Indien un élément suffisant à son activité coloniale et n’aura plus besoin, pour la satisfaire, d’acquérir cette prépondérance méditerranéenne que faisaient luire à ses yeux, au temps où ils ne soupçonnaient pas encore le côté onéreux et absorbant de la politique d’expansion coloniale, ses poètes et ses littérateurs.


ROUIRE.