Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ROME ET LA RENAISSANCE
LE JEU DE CE MONDE
1509-1512


I

« Le pape, — disait de Jules II, dans une occasion solennelle, l’ambassadeur vénitien Domenico Trevisano, — le pape veut être le seigneur et maître du jeu de ce monde[1]… » Donnons-nous pour quelques instans le spectacle de ce jeu plein de ruses et de surprises : les étranges vicissitudes de la Ligue de Cambrai nous feront peut-être mieux comprendre, dans la suite, certaine stance de Raphaël au Vatican, telle peinture de Michel-Ange dans la Sixtine.

La ligue conclue à Cambrai, le 10 décembre 1508, entre le pape et les trois souverains de France, d’Autriche et d’Espagne, — et auxquels vinrent se joindre aussitôt les princes italiens de Ferrare, de Mantoue et d’Urbino, — ne visait à rien moins qu’au démembrement total de la République des lagunes : ce fut la réponse de Jules II au refus obstiné de la Signorie de restituer au Saint-Siège les villes importantes de la Romagne (Ravenne, Faenza, Cervi, Rimini), qu’elle détenait très indûment. « Je réduirai encore votre Venise à l’état de hameau de pêcheurs dont elle est sortie, » avait, dit un jour le pape ligurien à l’ambassadeur Pisani, à quoi le fier patricien n’a pas manqué de répliquer : « Et nous, Saint-Père, nous ferons de vous un petit curé de village, si vous n’êtes pas raisonnable… » Ce langage donne la mesure de l’aigreur à laquelle on était arrivé de part et d’autre.

  1. Il papa vuol essere il signore e maestro del giuoco del mondo. (Rapport lu par l’envoyé Trevisano devant la Signorie, le 1er avril 1510. Alberi, Relazioni, III, p. 33.)