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Isabella Gonzaga, 23 août, on dit tout haut que, si le pape en réchappe, il le devra à signor Federico… »

Il en réchappa. Les 30 et 31 août on lui faisait déjà de la musique dans sa chambre, « et il y trouvait un plaisir comme il n’en avait jamais eu ». Il se rétablit peu à peu, et bien des cardinaux commencèrent à trembler[1]. « Ils se mouraient à mesure qu’il revenait à la vie », écrit le protonotaire vénitien Lippomano ; mais ni alors ni depuis (c’est une justice à lui rendre), le Rovere n’a recherché les auteurs de la farce capitoline et n’a pensé à en tirer vengeance[2]. Il ne pensa qu’à sa grande entreprise contre Louis XII, si malencontreusement retardée par l’accès de fièvre du mois d’août ; et 5 octobre il put enfin célébrer en personne une messe solennelle à Santa Maria del Popolo et y faire annoncer la formation de la Sainte-Ligue… La ligue se déclarait contre le conciliabule de Pise, et s’engageait à restituer au Saint-Siège « toutes les places lui appartenant immédiatement ou médiatement. » Le traité avait reçu la pleine signature du roi catholique et de la République de Saint-Marc ; l’adhésion du roi d’Angleterre était assurée ; et comme dernier trait piquant, la faculté d’entrer dans la nouvelle alliance était expressément réservée à l’empereur, à l’impayable Maximilien, qui à ce moment rêvait de ceindre la tiare !… Jules II connaissait bien son homme : « Il est simple comme un enfant nouveau-né », avait-il dit de lui déjà en 1509, parlant à l’ambassadeur de Venise.

La France envahie au sud par les espagnols, au nord par les Anglais, et ses forces militaires en Italie écrasées sous l’attaque simultanée des Suisses, des Vénitiens, des soldats du pape et de ceux du vice-roi (espagnol) de Naples : tel était le tableau bien séduisant qui se présentait à l’esprit du Rovere en ce mois d’octobre 1511… Les débuts de la ligue furent loin cependant de répondre à ces espérances. Les Suisses d’abord faussèrent compagnie comme dans l’année précédente, malgré toutes promesses données et arrhes reçues. Descendus du Saint-Gothard, vers le milieu de novembre, au nombre de 20 000, ils s’étaient avancés sans obstacles jusqu’aux portes de Milan ; mais gagnés par l’argent français, ils prétextèrent du manque de canons, du retard de la

  1. Voici un extrait de la lettre incroyable adressée le 7 septembre 1511 à la marquise de Mantoue par Lodovico Canossa, évêque de Tricarico : « La mort de Perotino (un petit chien dont il avait fait anciennement cadeau à la marquise) m’a causé beaucoup de chagrin ; j’avais cependant espéré depuis m’en pouvoir consoler par la mort d’un autre chien, beaucoup moins utile au monde. Aujourd’hui, je ressens d’autant plus douloureusement la mort de l’un et la vie de l’autre… » (Luzio, p. 527-528.) — Lodovico Canossa est un des principaux interlocuteurs dans le Cortegiano de Castiglione.
  2. L’évêque Pompeo Colonna ne fut déposé de ses dignités qu’à la suite de nouvelles intrigues et bravades, peu de temps avant la mort de Jules II.