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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/603

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elle ne serait pas acceptée sans transition, nous essayerons de dire par quoi elle peut être préparée, accompagnée et consolidée ; ou, comme la force des choses n’est pas à nos ordres, ce qu’on pourrait faire en attendant, afin de hâter son travail et de l’aider.


I. — FONDEMENS THÉORIQUES OU PHILOSOPHIQUES. — LA VIE ET LA REPRÉSENTATION RÉELLE DU PAYS.

D’abord, et avant tout, nous rejetons le dogme, absurde et gros de conséquences désastreuses, de la souveraineté du peuple. Ou, pour qu’on ne se méprenne pas sur nos intentions, nous rejetons absolument la notion même de la souveraineté, — du peuple ou de n’importe qui, — cette notion étant incompatible avec celle de l’État moderne, État de droit, construit par en bas. Froidement et sans la tristesse habituelle des abdications, nous faisons, en ce qui nous concerne, abandon volontaire de notre part de souveraineté, ne réclamant, en échange, que notre part de vie dans la vie nationale. Autant, en effet, il est clair, quand on salue le peuple du titre de « souverain », que l’on se moque de nous, que l’on nous fait « lâcher la proie pour l’ombre » — ou prendre une bulle de savon pour le globe impérial ; — autant le plus humble des citoyens est fondé légitimement à prétendre vivre dans la nation, être de sa personne dans l’être collectif.

De là une différence essentielle. Qui se croit souverain ignore ou dédaigne les autres. Qui se sait vivant ne peut oublier qu’il n’est pas seul à vivre, que sa vie se mêle à d’autres vies et que d’autres vies se mêlent à la sienne. La souveraineté se sépare, se replie sur elle-même et s’isole : elle se pose en s’opposant ; la vie se répand et se solidarise : elle se développe en se communiquant. La souveraineté est condamnée à demeurer une ; si elle se partage, elle dégénère en anarchie et se détruit ; plus la vie se partage, plus elle se multiplie, plus elle est harmonique, plus elle est féconde.

Elle se compose, la vie nationale, de toutes nos vies, dont les plus simples sont déjà composées ; l’être collectif est fait non seulement de la multitude des individus, mais d’une foule d’êtres collectifs de divers degrés, dans les divers ordres. Et non seulement la vie nationale est plus que la somme des vies individuelles, lesquelles sont loin d’en contenir tous les élémens, mais chaque vie individuelle s’embranche en quelque manière et se soude à des vies collectives qui la protègent, l’alimentent et l’accroissent prodigieusement. A telles enseignes que l’individu