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Nommée pour repousser le projet du gouvernement, elle devait le repousser en effet, et c’est ce qu’elle a fait. On lui a reproché de n’en avoir pas présenté un autre à la place. On l’a accusée d’avoir mis la Chambre dans l’alternative de se prononcer entre un projet mauvais à coup sûr, mais qui pouvait être amendé, et rien. Jamais grief n’a été plus mal fondé. La Commission du budget n’a pas à remplir le rôle du gouvernement et à faire un budget en son lieu et place. L’autorité et les moyens matériels d’exécution lui manquent pour cela. Elle ne pouvait que mettre la Chambre en mesure de se prononcer sur le, principe même du projet ministériel, et si elle le repoussait, d’indiquer un autre principe sur lequel le gouvernement et elle auraient à travailler à l’avenir. A-t-elle manqué à ce dernier devoir ? Non, puisque après avoir condamné le principe de M. Doumer, c’est-à-dire l’impôt sur le revenu général avec déclaration préalable ou taxation administrative et arbitraire, elle s’est ralliée à la proposition de M. Guillemet, qui, conformément à ce qu’avaient préparé les gouvernemens antérieurs, demandait qu’à l’impôt personnel mobilier et à l’impôt sur les portes et fenêtres fût substitué un impôt, étudié à part, sur chacune des branches du revenu. Assurément la proposition de M. Guillemet reposait sur un principe ; elle contenait en germe tout un système ; elle n’était pas, comme on l’a dit, un pur néant. Il n’est donc pas vrai de prétendre que la Commission n’ait rien apporté à la Chambre. La Chambre n’a pas eu seulement une condamnation à exprimer, mais un choix à faire, et, chose étrange, bien peu propre assurément à augmenter son prestige déjà si atténué, après s’être prononcée dans un sens par l’élection même de la Commission du budget, elle s’est prononcée dans le sens opposé par son vote du 26 mars. C’est un triste spectacle de contradiction et de décousu donné au pays.

Mais si la Commission du budget a été battue pour être restée fidèle à ses origines, elle a conduit le débat avec une résolution et une habileté qui lui font honneur. Pendant cinq jours, elle n’a pas faibli un seul instant ; ses orateurs ont toujours été sur la brèche, répondant à tous les argumens, repoussant toutes les attaques ; et dans le centre de la Chambre plusieurs députés, tels que M. Léon Say, M. Méline, M. Poincaré, lui ont apporté spontanément le concours le plus précieux. L’animation, l’agitation de l’assemblée témoignaient de l’intérêt passionné qu’on prenait de part et d’autre à un débat dont nul ne méconnaissait l’importance. Pour la première fois depuis longtemps, on voyait deux partis face à face, combattant sur toute la ligne, avec toutes leurs armes. Pas un coup ne se perdait. Les orateurs de la Commission et du centre, se sentant soutenus comme ils ne l’avaient jamais été, ont déployé un talent que peut-être ils ne se connaissaient pas eux-mêmes. Nous ne parlons pas de M. Léon Say, ni de