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le duc de Bourgogne n’a été en effet qu’un épisode de cette alliance savoyarde qui, tantôt rompue, tantôt renouée, a tenu à travers les siècles une place si importante dans notre histoire. Il est certains pays auxquels leur situation géographique donne une importance singulièrement disproportionnée avec leur surface territoriale et leur force militaire. Lorsque des souverains avisés ont su jouer de cette situation, lorsqu’ils ont, de père en fils, poursuivi avec application un but judicieusement choisi, et lorsque cette politique nationale a eu pour constant appui la fidélité d’un peuple, il est rare que peuple et dynastie ne recueillent pas à la longue la récompense de ce qu’un historien récent de la diplomatie savoyarde appelle : la grande virtù del perseverare[1].

Telle a été l’histoire de cette petite patrie de notre duchesse de Bourgogne, qui, de progrès en progrès, à l’aide de moyens parfois douteux, mais toujours habiles, a su pousser ses frontières du pied des Alpes jusqu’à l’extrémité de la péninsule. Pour que notre récit soit complet, il y aura lieu de détacher de cette longue histoire quelques épisodes auxquels, plus ou moins directement, la duchesse de Bourgogne a été mêlée. En eux-mêmes, ces épisodes ne paraîtront peut-être pas tout à fait dénués d’intérêt, car on verra la part qu’y ont prise des personnages diversement illustres. Oserons-nous ajouter que quelques enseignemens s’en peuvent également tirer, et qu’à l’école d’un petit peuple même un plus grand peut apprendre quels profits viennent à la longue récompenser la vertu de persévérance.


I

« Je vous prie, comme bon prince et vassal du Saint-Empire, et tant pour le bien public que pour l’assourement du repos d’Italie, et par conséquent de tous les chrestiens, que veuillez employer de tout votre pouvoir à faire bien garder les passaiges (des Alpes), afin que les Français n’y puissent passer[2]. »

Ainsi écrivait, il y aura bientôt quatre cents ans, l’empereur Charles-Quint au duc Charles III de Savoie. Gardiens des passages, portiers de l’Italie, telle a été, en effet, à travers de longs siècles, la situation exceptionnelle, à la fois dangereuse et privilégiée, des suzerains de la Savoie, l’antique Sabaudia, qu’ils fussent comtes, ducs, ou même rois, et cela depuis le jour où Odon, fils d’Humbert aux Blanches mains, qui avait hérité de son père

  1. Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia. Introduzione.
  2. Lettre de Charles-Quint à Charles III, duc de Savoie, citée par Carutti, Storia della diplomazia della corte di Savoia, t. I, p. 270.