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davantage au relèvement des peuples frappés par la défaite. A cet égard, l’égoïste argent est souvent plus secourable que les philanthropes ; il est le premier à tendre la main aux vaincus. Les neutres, les indifférens, le vainqueur lui-même, viennent en aide au vaincu de la veille, en lui avançant les fonds dont il a besoin pour se refaire, ou pour payer la rançon imposée par l’ennemi. Ainsi en a-t-il été de notre France, au lendemain de la guerre de 1870-1871. Nos grands emprunts ont été couverts, en partie, à l’étranger ; et en souscrivant à nos emprunts de libération du territoire, en les faisant coter sur toutes les places de l’Europe, la haute banque, soi-disant cosmopolite, n’a pas seulement servi ses propres intérêts ; elle a concouru au prompt rétablissement de notre fortune ; car, sans cette aide du dehors, nous étions obligés d’émettre nos emprunts à un taux plus onéreux, et nous demeurions privés des capitaux indispensables à la reprise de nos industries, à la réfection de notre richesse et de notre puissance nationales.

Encore n’est-ce là, peut-être, que le moindre des services que nous a rendus, aux premiers jours de notre convalescence, « l’Internationale capitaliste ». Ce cosmopolitisme financier, tant vilipendé des ignorans, il a concouru encore, d’une autre manière, a la libération et au relèvement de la France, après le terrible ébranlement de 1870. Les peuples civilisés, les vieux pays riches du moins, ont, en cas de crise nationale, en cas de révolution ou de défaite, une autre façon de venir au secours les uns des autres. C’est, tout simplement, la réalisation de leur portefeuille international. Qui ne sait que la France n’a pu liquider les dépenses écrasantes de la guerre de 1870 qu’à l’aide de ses valeurs étrangères ? Si elle n’avait, déjà, été richement nantie de titres de tout pays, c’est-à-dire si elle n’avait été créancière de l’étranger pour une bonne dizaine de milliards de francs, il lui eût été impossible de solder, si rapidement, la formidable rançon allemande. Elle n’aurait pu éviter une crise monétaire intense et prolongée ; comme la Russie, comme l’Autriche-Hongrie, comme l’Italie après 1866, elle fût tombée au régime du papier-monnaie, et après un quart de siècle, elle n’en serait peut-être pas encore sortie. Au lieu de cela, pour se libérer, pour recouvrer son indépendance économique, elle n’a guère eu qu’à réaliser son portefeuille exotique, qu’à vendre ses créances sur le dehors, sur l’Europe et l’Amérique. C’est en papier étranger qu’elle a, pour la plus grande partie, payé ses dépenses de guerre[1], si bien qu’on

  1. Voyez, par exemple, le rapport de M. Léon Say sur les emprunts de liquidation.