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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/826

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sortir de l’ornière ; elles s’enferment, paresseusement, dans leurs affaires habituelles, emprunts d’Etat, souscriptions de chemins de fer. Elles n’ont pas su élargir leur champ d’opération avec les découvertes géographiques du siècle et les grands courans de colonisation du monde moderne. Les pays neufs, les contrées lointaines en train d’être conquises par la civilisation demeurent, trop longtemps, pour nos banquiers, une terra incognito, sur laquelle ils n’osent pas se risquer. Ils se sont laissé, presque toujours, distancer par les Anglais, par les Américains, par les Allemands. Voici, par exemple, l’Afrique australe, une contrée nouvelle, d’accès facile, placée de longue date sous des gouvernemens chrétiens ; une contrée qui, par ses mines d’or et ses richesses minérales de toute sorte, attire, depuis cinq ou six ans au moins, l’attention du monde civilisé. Qu’ont fait nos banquiers pour ouvrir le Transvaal et le Witwatersrand à nos capitaux français ? Ils sont demeurés, des années, spectateurs indifférens ou inattentifs d’un des grands événemens économiques du siècle ; ils n’ont rien su tenter pour y faire participer la France ; et lorsque à la fin, sur le tard, ils se sont décidés à présenter au marché français les titres des mines sud-africaines, ils n’ont pu que nous offrir les restes d’autrui, les reliefs du Stock Exchange. Il nous a fallu, de ce chef, payer aux Anglais des primes de plusieurs centaines de millions, si bien qu’on se demande si des valeurs tellement majorées laissent encore une marge au bénéfice. Ce n’est pas calomnier nos maisons de banque que de dire qu’elles ont manqué de prévoyance et de décision. Un pays comme la France devrait avoir sa part de toutes les grandes affaires du globe ; la mission des banquiers serait de l’y préparer, de l’y aider. A cet égard, je crois que, au lieu de leur reprocher leur cosmopolitisme et leur exotisme, on pourrait plutôt les accuser d’être trop routiniers et trop casaniers.


IV

Les hommes qui, sous prétexte de patriotisme, réprouvent en bloc les placemens exotiques sont des esprits courts. Ce nationalisme exclusif va contre les vrais intérêts de la patrie française. L’exportation des capitaux, la colonisation par les capitaux est une des formes les plus légitimes et les plus fécondes de l’activité et de l’expansion nationales. Elle a des avantages pour la paix, et elle en a pour la guerre. S’il ne peut empêcher la guerre, ce que vous appelez le cosmopolitisme financier sait en atténuer les maux et en panser les blessures. Je ne sais rien qui contribue