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satisfaisant sur les Etrusques ; attendons, pour parler d’eux, qu’on ait réussi à déchiffrer leurs inscriptions. Nous ne sommes pas obligés de croire tout ce que Tite-Live et Polybe nous disent des Carthaginois ; mais nous n’avons pas le droit de les rectifier eu traçant de ce peuple un portrait factice. Nous avons peu de renseignemens sur les lois, les mœurs, les usages des Gaulois. M. d’Arbois de Jubainville essaie de les reconstituer par l’étude approfondie des documens gallois et irlandais du moyen âge. Malgré la haute estime qu’il avait pour le talent de cet érudit, M. Fustel a toujours désapprouvé son procédé ; il nie que des livres coutumiers, dont le plus ancien n’est pas antérieur au XIVe siècle, et qui de toute manière sont bien postérieurs à l’introduction du christianisme en Irlande, nous révèlent l’état juridique de la Gaule au temps de César.

On peut remédier à l’insuffisance des textes par le rapprochement et la comparaison. La Germanie de Tacite est obscure par excès de sobriété ; n’est-il pas naturel de l’élucider et de la contrôler à l’aide des codes barbares ? De même, s’il y a des indices que telle institution a suivi chez la plupart des peuples une marche déterminée, il paraît légitime d’étendre par voie d’induction la même règle à toutes les autres. M. Fustel de Coulanges ne s’est point privé de cette ressource. La Cité antique tend à démontrer, par un perpétuel parallèle entre les Grecs et les Romains, que des principes identiques ont régi le développement de ces deux sociétés, qu’elles ont eu des croyances, des lois, des gouvernemens analogues, et qu’elles ont traversé les mêmes révolutions. Dans le volume sur la Monarchie franque, à la fin de chaque chapitre, l’auteur a soin d’examiner si les faits qu’il vient de constater dans l’Etat mérovingien se manifestent aussi dans les autres royaumes barbares. Il est loin par conséquent de dédaigner la méthode comparative ; il la croit utile, nécessaire même, pourvu qu’elle soit bien pratiquée. « Il y a des rapprochemens justes, dit-il. On les reconnaît à ces deux conditions : l’une, que des deux textes ou les deux faits qu’on rapproche aient été d’abord analysés isolément et étudiés chacun en soi ; l’autre, qu’on puisse montrer entre les deux un rapport certain, un lien visible, un point de jonction. » Si dans un récit de Grégoire de Tours il était question d’un jugement rendu en vertu de la loi salique, il serait loisible de le commenter au moyen des articles de cette loi ; mais ce qui est téméraire, c’est de commenter exclusivement d’après la loi salique tous les jugemens que raconte Grégoire de Tours. Il est possible que le collectivisme ait été la forme primitive de la propriété foncière chez tous les peuples ; mais avant de risquer une pareille affirmation,