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il faut étudier les divers peuples l’un après l’autre et découvrir dans leur histoire des traces indéniables de l’indivision du sol. Or il est rare que les érudits prennent tant de précautions. « Ils prétendent deviner les institutions les plus générales de l’humanité à l’aide de quelques cas particuliers qu’ils vont chercher de droite et de gauche, et qu’ils ne se donnent pas la peine d’observer avec exactitude. Et, ce qui est encore plus grave, ils omettent et laissent de côté les faits constans, normaux, bien avérés, ceux qui sont inscrits dans les législations de tous les peuples et qui ont composé leur vie historique. Ce n’est pas là la méthode comparative. »

M. Fustel de Coulanges n’était pas moins sévère pour les systèmes qu’a enfantés la « philosophie de l’histoire. » Alors qu’on est souvent tenté d’en admirer la profondeur, l’originalité et la finesse, lui ne cessait de s’en plaindre et de s’en irriter. Il avait pour eux la même aversion que les positivistes pour les concepts purement métaphysiques. L’influence de la race, l’action du milieu géographique, l’idée du progrès, le fatalisme, l’intervention de la Providence dans les affaires humaines entendue à la façon de Bossuet, tout cela était pour lui sans valeur ou du moins sans grande portée. Dans la rivalité d’Athènes et de Sparte il voyait tout autre chose qu’une lutte entre l’esprit ionien et l’esprit dorien. Les efforts de Taine pour expliquer le caractère anglais par le climat et le mode d’alimentation le faisaient sourire. Il décrit à merveille l’évolution des idées et des sentimens qui animent les sociétés, mais nulle part il ne se demande si leur histoire suppose une amélioration graduelle de l’âme humaine. Son intelligence était libre de toute croyance au surnaturel, et il n’interrogeait jamais que la raison pour rendre compte des événemens. Il n’admettait pas que les destinées d’une nation fussent irrévocablement fixées à l’avance ; il pensait, au contraire, que le sort d’un peuple dépend surtout de lui-même, et il dit en propres termes que « le régime féodal ne se serait pas établi si la majorité des hommes avait voulu qu’il ne s’établît pas. » On ne saurait blâmer une tentative aussi méritoire pour bannir du domaine de l’histoire toute opinion a priori. Il semble pourtant que M. Fustel ait été trop prompt à condamner ces systèmes. S’il en est dans le nombre qui sont des œuvres d’imagination, la plupart se fondent sur une connaissance, incomplète il est vrai, mais enfin réelle, des faits, et il y a quelque injustice à les englober tous dans le même mépris. Même s’ils n’étaient que de simples hypothèses, ils seraient dignes souvent d’attention, car on sait la place que l’hypothèse occupe dans les sciences. Or, chacune de